venerdì 4 maggio 2012

Una recensione francese del libro su Stalin

Domenico LosurdoStaline. Histoire et critique d'une légende noire. Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio. Bruxelles, Aden, 2011
Par Jean-Claude Lecas

Résumé
Le livre de Domenico Losurdo, "Staline. Histoire et critique d'une légende noire" (Bruxelles, Aden, 2011) s'inscrit, espérons-le, dans le retournement de la sinistre tendance faisant du "totalitarisme", du Goulag et de l'équivalence Hitler-Staline, l'argument massue de la doxa libérale visant à criminaliser le communisme et tout espoir de réforme sociale. L'auteur remarque qu'à sa mort (1953), Staline fut pleuré comme un dieu partout dans le monde, tandis que, trois ans plus tard, le rapport Krouchtchev en faisait un monstre. Les deux sont forcément faux et, si l'on veut comprendre, il faut tout examiner avec l'œil de l'historien. Ainsi, dans le contexte dramatique de la Russie d'après la révolution et la guerre civile, les "crimes" de Staline apparaissent très relatifs. Sa dictature totale n'apparaît qu'après les procès de Moscou et l'hystérique chasse aux espions et saboteurs qui suivit (la Grande Terreur de 1937-38) des réponses terribles, mais toujours pragmatiques, à une situation de chaos et de guerre civile plus ou moins permanente. Après la collectivisation désastreuse de l'agriculture, condition de l'industrialisation du pays, Staline et son groupe tentent désespérément de rétablir l'autorité du gouvernement et d'accélérer l'industrialisation, tandis que se précise la menace mortelle du nazisme. L'ouvrage montre que le "stalinisme" est né de ces situations d'exception et à quel point l'amalgame Hitler-Staline (à laquelle contribue la fable de l'antisémitisme stalinien) occulte opportunément les véritables origines du nazisme. Celui-ci combine la doctrine pangermaniste avec les théories raciales et nationalistes contemporaines de l'expansion coloniale occidentale. L'objectif des nazis est de conquérir, sur les terres slaves, un vaste empire colonial germanique sur les ruines de l'URSS, dirigée par les "judéo-bolchéviques" inspirés par les théories du Juif Marx. Leur croisade anticommuniste leur assure l'appui des puissances occidentales. Rien de commun avec le despotisme stalinien, purement défensif et qui n'a cessé de promouvoir les nationalités de l'URSS. Enfin Losurdo en prenant parti pour Staline contre Trotski examine un problème majeur : celui de l'Etat socialiste. Selon Trotski, l'URSS, au départ faible et menacée, ne peut survivre sans l'appui des masses prolétariennes dans les pays capitalistes développés. De plus, la construction du socialisme doit amener le dépérissement de l'Etat. Pour Staline, ces principes ne sont pas réalistes dans le contexte de l'époque et un Etat fort, capable d'assurer l'éducation, l'industrialisation et les droits sociaux est d'abord une  condition de la survie.


C'est un gros livre qui paraît de prime abord assez partial dans ce que l'on perçoit comme une sorte de réhabilitation de Staline. Tel n'est cependant pas réellement le sujet de l'ouvrage qui se termine par une réflexion critique et une idée forte : la dérive contemporaine vers une "tératologie politique" (fabrique de monstres) qui obscurcit le contexte des événements historiques et mystifie le citoyen. On peut toutefois regretter que cette réflexion soit seulement amenée à la fin - en guise de conclusion - d'un texte composé de huit chapitres et d'un préambule, bourré d'informations utiles et peu connues, mais il est vrai, quelquefois un peu répétitif.
Argument de départ : Staline était un dieu en 1950, il devient un monstre après le rapport secret de Krouchtchev (1956). Les deux sont forcément faux et, si l'on veut comprendre, il faut tout examiner. Le ton général est celui de l'admiration plus que de la réhabilitation. La querelle fondamentale Trotski-Staline est traitée en détail, avec des arguments forts, mais qui donnent plus ou moins explicitement raison à Staline. Celui-ci a compris l'importance du fait national et la nécessité absolue de défendre et de renforcer l'URSS environnée d'ennemis pour que le socialisme ait une chance de l'emporter ensuite. Trotski et ses partisans, qui se considéraient comme les seuls vrais révolutionnaires, y voyaient une trahison de l'esprit d'Octobre avec la reconstitution d'une classe bureaucratique. Eux voulaient faire de l'URSS un moyen de propager la révolution dans le monde en appuyant les mouvements prolétariens dans les pays plus développés. Forts de la théorie marxiste qui implique, à terme, dépérissement de l'Etat, égalitarisme absolu et suppression de la monnaie et de la marchandise, ils dénonçaient le révisionnisme de Staline. Il s'ensuivit une guerre civile larvée au sein du PCUS, à base de complots, de double langage et d'attentats qui sera l'une des causes des Grandes Purges de 1937-38. D'une manière générale, Losurdo présente Staline comme un communiste authentique, mais surtout réaliste et pragmatique. Ses "crimes" sont très relatifs, étant donné la barbarie de l'époque, l'ampleur des problèmes et le caractère radical des oppositions qu'il a affrontées. Il a maintenu la barre fermement au moment où l'URSS allait imploser et il a gagné la guerre contre les nazis. Au  prix de millions de morts. Mais pouvait-il faire autrement?..
Principe du plan : Après le préambule qui expose l'argument, les quatre premiers chapitres sont, en principe, des chapitres d'histoire de la Révolution et le l'URSS jusqu'à la mort de Staline, avec des incursions dans l'histoire russe antérieure et dans celle de la guerre froide. Les quatre chapitres suivants sont consacrés aux éléments et à la signification de la "légende noire" de Staline : l'antisémitisme, la morale et la politique, la mythologisation de l'histoire et l'utilisation des principes de diabolisation et d'hagiographie dans le monde contemporain. Malheureusement, Losurdo ne suit pas vraiment son plan et revient répétitivement sur les mêmes périodes et les mêmes événements.
En résumé, il s'agit d'un livre fort utile qui s'inscrit, espérons-le, dans le retournement de la sinistre tendance "anti-totalitaire" (le Goulag, Hitler = Staline, etc.) visant à criminaliser le communisme et tout espoir de réforme sociale. Staline et le stalinisme sont des phénomènes historiques et leur étude rigoureuse n'a rien de commun avec cette doxa libérale.
Le "Préambule", intitulé "Le tournant dans l'histoire de l'image de Staline" [p.11] rappelle d'abord, citations à l'appui, la consternation générale, les deuils collectifs et l'immense émotion à la mort de Staline. Non seulement à Moscou ou dans les petits villages russes, mais aussi "dans les rues de Budapest et de Prague, des gens pleuraient". Non seulement les partis et les sympathisants communistes, mais des hommes d'Etat du camp opposé se répandirent en hommages appuyés. Churchill lui-même, le stratège anti-communiste[1], l'avait salué comme "Staline le Grand", digne héritier de Pierre  Grand. Ici, Losurdo cite les louanges de l'ambassadeur américain Harriman, du leader travailliste Harold Laski, d'Alcide de Gasperi et même de Benedetto Croce qui parlait d'un "génie politique" faisant du "soviétisme" un progrès de liberté par rapport au régime tsariste. Beatrice Webb, collègue de Laski, parlait du pionnier d'une "nouvelle civilisation" émergeant de la "Russie barbare", malgré un état de siège plus ou moins permanent. Même H. Arendt avant son livre sur le totalitarisme avait salué l'action de Staline organisant l'effort commun de 160 nationalités, tandis que Thomas Mann avait par avance refusé l'assimilation du nazisme et du communisme à travers le concept de totalitarisme car ce rapprochement était foncièrement anticommuniste et l'anticommunisme était d'essence fasciste. En Israël, "lorsque parvint la nouvelle de la mort de Staline tous les membres du Mapam, sans exception, pleurèrent" et ce sentiment était répandu dans l'armée et l'appareil d'Etat. L'historien Isaac Deutscher écrivit : "il a trouvé la Russie qui travaillait la terre avec des charrues de bois et il la laisse propriétaire de la pile atomique. Il a élevé la Russie au rang de seconde puissance mondiale", un résultat qui n'est pas dû seulement à l'industrie et à la puissance militaire mais bien plus à la généralisation de l'instruction et de la culture. Les sarcasmes de Trotski à l'égard de Staline (petit provincial, traître à la révolution mondiale) étaient bien oubliés. Pour Alexandre Kojève, Staline incarnait "l'esprit hégélien du monde" agissant avec sagesse et tyrannie.
Quel contraste avec la situation crée par le rapport Krouchtchev en 1956! Ce fut un coup de tonnerre car, jusque-là et malgré neuf ans de Guerre froide, Staline et son œuvre étaient encore respectés.
En URSS, ce rapport vise à légitimer les hommes au pouvoir (en évinçant, après Béria, les anciens compagnons de Staline, Molotov, Malenkov, Kaganovitch, etc). En Occident, ce fut du pain béni pour les "soviétologues", installés et contrôlés par la CIA dans le cadre d'un embrigadement étroit des historiens à partir de 1947 (la "pluralité d'objectifs et de valeurs" n'était plus autorisée à l'American Historical Association, selon son président - voir Cohen, 1986). L'idée de la "déstalinisation" permettait d'appuyer Tito contre Moscou et de l'adosser au "pacte balkanique" (Turquie, Grèce) tout en soutenant la Chine contre l'URSS qui était le principal ennemi. Trotski fut paradoxalement absous et commença une carrière de victime, lui qui jusque-là incarnait "l'assassin bolchévique de masse" (Spengler). Désormais Staline représentait seul l'infamie communiste. Krouchtchev l'avait présenté comme un petit dictateur pathologiquement sanguinaire, vaniteux et intellectuellement médiocre. Le dénigrement de Staline permettait aux anticommunistes et atlantistes de la Guerre froide de célébrer la supériorité morale et intellectuelle du "monde libre". Mais les marxistes se dédouanaient à bon compte de ce qui les inquiétait en URSS : le renforcement (et non le dépérissement) de l'Etat, la permanence de la monnaie, etc.. C'était la faute à Staline et au "stalinisme"! Les partisans de Trotski reprirent les textes de ce dernier dénonçant la dictature totalitaire, stalinienne ou fasciste, et l'équivalence HitlerStaline commença une belle carrière.
Losurdo refuse toutes ces mythologies et va rechercher dans différents pays et régimes les "caractéristiques" supposées du stalinisme (personnalisation du pouvoir, paranoïa des dirigeants, exécutions de masse, univers concentrationnaire, déportations, etc..). Il va les trouver en abondance.
Le 1er Chapitre, est intitulé "Comment précipiter un dieu en enfer, le Rapport Krouchtchev[2]. [p.27] A peine trois ans après les grandioses manifestations de deuil, ce rapport fit de Staline, selon l'expression d'Isaac Deutchser, "un énorme monstre humain, sombre, capricieux et dégénéré". Losurdo inventorie les falsifications de Krouchtchev (qui ont fait florès en Occident) : (1) Staline a fait assassiner son ami Kirov pour pouvoir en accuser ses principaux opposants (réels ou supposés) et les liquider les uns après les autres, (2) il a déporté en masse des populations entières sous les accusations les plus arbitraires, (3) la Grande Guerre patriotique a été gagnée non pas grâce à, mais contre Staline qui avait placé une confiance aveugle dans Hitler et laissé l'Armée Rouge dans un état d'impréparation tragique, (4) après avoir négligé les avertissements provenant de diverses sources, il s'était abandonné au découragement et à l'apathie aux premiers désastres et ne serait revenu à son poste qu'en raison de l'insistance du bureau politique, (5) c'était un dictateur incompétent, incapable de diriger les opérations militaires (il établissait la ligne de front avec un globe terrestre). Losurdo trace un parallèle avec les accusations de Trotski, dans les années trente : Staline y était affecté d'une irrémédiable médiocrité et lourdeur paysanne, il aurait précipité la mort de Lénine. En septembre 1939, Trotski le taxait, lui et ses compères, de la plus grande incapacité à conduire une guerre.
Losurdo réfute toutes ces inventions. D'abord, sur la Grande Guerre patriotique. (a) La production industrielle augmente en flèche avant 1941 et particulièrement celle des matériels militaires et des chars du dernier modèle qui passe de 358 unités en 1940 à 1503 au premier semestre 1941, année de l'invasion. A cette date, l'armée dispose de 2700 avions modernes et de 4300 chars ; neuf nouvelles usines de production d'avions ont été construites depuis 1939, etc.. (b) Quant au mythe de l'effondrement de Staline, il a été réfuté par A. Knight (1997) dans son livre sur Beria, qu'appuie d'autres témoignages, dont celui de Dimitrov. Le jour de l'invasion, à partir de 11h, commencèrent des séries ininterrompues de réunions pour organiser la résistance et lui donner un cadre politique. A l'agression fasciste visant à l'asservissement des races présumées serviles d'Europe orientale, devaient répondre des guerres de résistance et de libération nationale soutenues par l'internationalisme conscient des partis communistes européens, mais la question du communisme n'était pas à l'ordre du jour. (c) Quant à la surprise provoquée par l'invasion, il faut dire que les informations n'étaient pas concordantes car les nazis avaient maintenu l'ambiguïté sur leurs intentions. Y contribua l'affaire Rudolf Hess qui aurait tenté (d'accord avec Hitler) de négocier une paix séparée avec l'Angleterre, avant l'attaque de la Russie, afin de libérer l'Allemagne d'une guerre sur deux fronts. Le fait est qu'entre mai et juin l'URSS mobilise 800 000 réservistes et déploie 28 divisions à l'ouest [NB c'est peu]. (d) La foudroyante avancée de la Wehrmacht s'explique très bien par les données objectives : d'une part, l'immensité russe (près de 2900 kms de front) qui permet toujours aux envahisseurs de passer quelque part (puisqu'ils ont l'initiative, ils concentrent leurs forces sur les zones les moins défendues) et d'autre part le refus légitime d'envoyer toute l'Armée Rouge aux frontières, où elle aurait été détruite (comme l'armée française en 1940). (e) L'échec de la guerre-éclair de Hitler (échec des raids aériens sur Moscou, bataille de retardement de Smolensk) et l'utilisation défensive de l'espace russe prévu depuis longtemps avec l'industrialisation de l'Oural, de la Sibérie et du Kazakhstan. Pendant l'invasion, le nouveau Conseil de l'évacuation parvint à déménager 1500 grandes usines. L'arrogance des Allemands est révélée par deux commentaires d'Hitler (pp. 47-48) : "Comment est-il possible qu'un peuple aussi primitif puisse atteindre de tels résultats techniques en si peu de temps?" (29 nov. 1941), ou encore : "Staline a élevé le niveau de vie. Le peuple russe ne souffrait pas de la faim... [des usines importantes] ont été construites là où jusqu'il y a deux ans n'existaient que des villages inconnus. Nous trouvions des lignes de chemin de fer qui n'étaient pas indiquées sur les cartes" (26 août 1942). En fait, pour G. Roberts ("Stalin's wars, 2006) qui fait autorité en la matière, Staline était un "grand stratège", "le premier vrai stratège du XXe siècle", attentif aux opérations  militaires en même temps qu'aux aspects politiques et logistiques de l'économie de guerre (et jusqu'aux petits détails, que les soldats ne manquent pas de cigarettes). Cette section se termine par une intéressante citation de Goebbels avouant l'échec de l'espionnage allemand qui ne réussit jamais à pénétrer en URSS.. "Exactement le contraire de ce qui s'est passé en France où nous savions pratiquement tout.." [NB Bien sûr, grâce aux multiples connivences évoquée par Annie Lacroix-Riz!]. Ensuite sur les déportations (section moins convaincante), Losurdo rappelle l'estime dont jouissait Staline pour son essai sur les nationalités de 1913 (?) et passe en revue les déplacements forcés de populations au XXe siècles (celles commandées par Staline ne furent ni plus importantes, ni moins motivées sur le plan de la sécurité que les autres). Un million de Juifs et d'Allemands déplacés dans l'Empire russe au début de la 1e Guerre Mondiale. Les USA des années 1930 expulsèrent les Mexicains à grande échelle. Après la 2e Guerre Mondiale : 12 millions d'Allemands furent déplacés en raison des nouvelles frontières, et souvent protégés de l'hostilité des Tchèques et des Polonais par les troupes soviétiques, déplacement des Pakistanais, etc. Et enfin, sur le culte de la personnalité (également moins convaincant), Losurdo prétend que ce n'était pas une déformation pathologique de la personnalité de Staline. Le président Wilson, à l'entrée en guerre des USA en 1917, fut l'objet d'un véritable culte. Boukharine, qui en fut témoin, estime que les démocraties se mettent à ressembler à des dictatures quand elles entrent en guerre. De même pour Roosevelt (personnalité exceptionnelle, 4 mandats) qu'on accusa d'être un dictateur et qui fit interner les citoyens d'origine japonaise. Kérenski se dresse en petit Napoléon russe avant son offensive ratée d'août 1917. Quant à Staline, il n'était pas systématiquement adepte de son propre culte et, lorsque celui-ci ne servait à rien, il était plutôt modeste et refusait honneurs et distinctions (étoiles, "héros de l'URSS", arrivée discrète à la conférence de Potsdam). En fait, il appréciait la franchise et les raisonnements sensés (même contradictoires) et détestait la flagornerie.
Le Chapitre 2 , intitulé "Les bolchéviques, du conflit idéologique à la guerre civile" [p.65], développe le thème "saturnien" de la Révolution qui dévore ses enfants dans une évocation chronologique des courants d'opposition à Staline.
Depuis le début, le parti bolchevique fut profondément divisé sur la question des relations entre fait national (et étatisme) et révolution mondiale. Priorité au renforcement de l'URSS comme Etat, pour protéger les acquis de la Révolution, ou priorité à l'internationalisme, à  l'égalitarisme, à la suppres­sion des rapports et de la culture capitalistes : famille, propriété, monnaie, etc.. La personnalité charismatique de Lénine réussit à maintenir la contradiction dans des limites supportables jusqu'à la fin de la guerre civile et au début de la NEP. Mais ensuite, l'ampleur des problèmes liés à la collectivisation de l'agriculture, à l'industrialisation et à la situation internationale poussa les conflits à leur paroxysme (chaque camp accusant l'autre de "trahir la Révolution"). Jusqu'à une véritable guerre civile interne au PCUS débouchant sur les Grandes Purges de 1937-38.
(p.66-72) L'idéalisme révolutionnaire était motivé par le dégoût pour cet immense crime de masse du capitalisme qu'était la Grande Guerre[3] et l'exigence d'un monde nouveau. Cet idéalisme s'est manifesté dans le refus de la "paix corde au cou" à Brest-Litovsk (fév. 1918) de la part de Trotski, Boukharine, Djerzinski, etc. (contre Lénine et Staline) et dans l'attente d'un incendie révolutionnaire européen. A l'époque, qui est également celle de la guerre civile russe,  on voit passer d'éphémères "Républiques libres" de paysans ou de déserteurs, de multiples revendications anarchistes, et la révolte des marins de Kronstadt au printemps 1921. Celle-ci est écrasée par Trotski qui est pris à parti comme le champion de l'organisation bureaucratique. Ces revendications gauchistes et illusoires paraissent vite "monstrueuses" à Lénine qui, pourtant, au 1er Congrès de la 3e Internationale (fév. 1919), s'était dit certain de la victoire de la révolution mondiale (Allemagne, Hongrie, Italie). Mais la guerre civile russe se déchaîne en 1919 et malgré ses victoires en Russie, l'Armée Rouge échoue finalement devant Varsovie (août 1920), ce qui entérine le reflux de la révolution européenne. C'était l'issue prévue par Staline, qui était particulièrement sensible, depuis son essai de 1913, au fait et au sentiment national. (p.73) Pour lui, l'enjeu de la guerre civile, avait été l'intégrité et l'indépendance de la Russie[4]. Il s'agissait d'une lutte nationale qui pouvait affaiblir l'impérialisme, mais non pas exporter la révolution : "L'exportation de la révolution est une sornette. Chaque pays peut faire la révolution s'il le désire, mais s'il ne veut pas, il n'y aura pas de révolution.." [5] (p.75). Trotski, scandalisé, attaque la théorie du "socialisme dans un seul pays" et durcit son opposition à Staline.
(p.77) Sur l'idéalisme révolutionnaire, la critique de la NEP ("Nouvelle Extorsion du Prolétariat") et les rapports mercantiles. (p.78-79) Pierre Pascal (catholique fr.) et Ernst Bloch appellent la suppression de l'argent. (p.80) Problème théorique : la différence entre "satisfaction des besoins" et "partage égal" (Hegel) que Marx résout (partiellement) en donnant la priorité à la suppression des classes et en reportant l'égalitarisme à une date ultérieure[6]. (p.88) La discussion se porte sur l'égalité des femmes, la liberté sexuelle et la famille. Les idéalistes (Kollontaï) veulent supprimer la famille car elle va de pair avec la propriété et l'héritage. (p.90) Trotski ironise sur "la famille [qui] renaît comme s'affirme à nouveau le rôle éducatif du rouble." et attaque (p.91) la réglementation inutile sur la famille, mariage, divorce, avortement, etc. Sur l'Etat : l'idée de diminuer l'Etat pose de multiples problèmes puisqu'on veut nationaliser l'économie, qu'on veut une armée et un système d'éducation. (p.94) Critique de Pannekoek. (p.95) Ernst Bloch veut convertir "le pouvoir en amour". Ces problèmes sont évoqués dans les droits du citoyen et la manière de les garantir (p.97) dans la Constitution de 1936 (promulguée au moment des grandes purges [surréaliste!] et jamais appliquée intégralement). (p.98-99) On sait maintenant que Staline n'est pour rien dans l'assassinat de Kirov (Kirilina, 1995, collection Courtois!). Il y eut d'abord une enquête chez les Gardes Blancs, à l'étranger, puis dans l'Opposition de gauche. (p.100-104) Trotski justifie le "terrorisme individuel de la jeunesse" contre la classe bureaucratique stalinienne et manifeste sa haine de Kirov et de Staline. [...] (p.119-127) Les manœuvres et espoirs de Trotski pour faire tomber Staline par la défaite dans une guerre avec Hitler (ce qui n'est pas cohérent avec son alarme du danger hitlérien en 1933). (p.127-133) Le complot de Toukhatchevski. (p.133-135) Conclusion : "Trois guerres civiles" successives, (1) la guerre civile contre les Blancs aidés des puissances impérialistes, (2) la guerre civile des "koulaks" et de la collectivisation, et (3) la guerre civile, dans le PCUS, entre "l'Opposition de gauche", les partisans de Trotski et de la pureté révolutionnaire et les défenseurs de l'Etat partisans de Staline.
Le Chapitre 3, "Entre XXe siècle et longue durée, entre histoire du marxisme et histoire de la Russie : les origines du “stalinisme” " [p.137], rappelle d'abord l'hyper-violence qui accompagne la révolution menchévique de février 17, lorsque l'armée se décompose et que les paysans soldats déserteurs massacrent et torturent leurs officiers (détails horribles), un carnage qui sanctionne les siècles de servage et de mépris du peuple. La reconstruction de l'Etat est entreprise par les bolchéviques qui sont pourtant partisans de son abolition finale. Pendant la guerre civile : massacres de juifs et de bolchéviques par les Blancs (et les paysans) mais le pouvoir charismatique de Lénine l'emporte et engage la NEP. Après sa mort, Staline incarne l'édification laborieuse du nouvel Etat, tandis que Trotski, dont le prestige est immense, veut être le nouveau leader charismatique (p.150-151). Ce sont "deux programmes politiques" et "deux légitimités" différentes qui s'affrontent[7]. Ici, une intéressante remarque de sociologie du pouvoir. Les propriétaires connaissent bien la politique depuis toujours. C'était le cas des dirigeants des Etats-Unis durant la 1e trentaine d'années après l'Indépendance, qui étaient tous des propriétaires d'esclaves. Les intellectuels non propriétaires, épris d'universalisme (par ex. sur l'abolition de l'esclavage) doivent apprendre la politique. (p.153-156) les critiques de Kautsky rejoignent celles de Trotski : les bolcheviques n'ont fait, jusque-là, qu'abolir différentes formes de propriété, pas le capitalisme. Il prétend qu'en raison de l'immaturité des conditions de la révolution (féodalisme, pays arriéré), les bolchéviques sont condamnés à la violence. (p.156-157) Contre Staline se dresse le front large de l'utopie et de la vision messianique d'une nouvelle société. Trotski critique le "social-patriotisme" de Staline. Le credo de ce dernier p. 161 (haut) est résumé par Losurdo : "le nihilisme national est plus que jamais insensé, la cause de la révolution est en même temps la cause de la nation", citation à l'appui[8]. La tâche la plus urgente, c'est l'industrialisation. Echos chez Mao (l'internationalisme doit être lié étroitement à la "forme nationale") et chez Gramsci qui distingue "cosmopolitisme" et "internationalisme" (p.162).
(p.170) Staline n'est pas d'accord avec R. Luxembourg sur le problème des nationalités. Pour celle-ci, la révolution doit être démocratique, mais le séparatisme des (petits) peuples "sans histoire" doit être réprimé. (p.171) Même différence si l'on compare Staline et Kautsky qui prédit la disparition des (petites) nations; Staline objecte l'échec des "russificateurs" ou "germanisateurs" de la Pologne. (p.172) Boukharine devient adepte de l'économie mixte et en revient de "l'universalisme abstrait" qu'il avait adopté au temps de Brest-Litovsk : il a appris. (p.174-178) Une question théorique curieuse et qui pose de nouveaux problèmes : les langues nationales subsisteront-elles sous le communisme? L'orthodoxie répond "non", il n'y aura plus qu'une seule langue, puisque les nations finiront par fusionner après l'élimination des antagonismes de classe. Mais Staline, convaincu de la solidité du fait national, répond "oui" contre l'orthodoxie. Car la langue n'est pas une "superstructure" ni un fait de classe et elle cimente les nations. Ce type de problème a été ignoré et a joué un rôle dans la crise finale du "camp socialiste". (p.178) Par ailleurs, pour Staline, "production marchande" n'est pas l'équivalent de "capitalisme" et il faut se garder des simplifications[9]. Enfin, la querelle avec Trotski implique la question de l'Etat qui, selon Marx (et Lénine) doit disparaître après l'abolition des classes puisqu'il est l'instrument d'oppression de la classe dominante[10]. Losurdo conclut à partir du rôle organisateur (la "troisième fonction") de l'Etat, que Staline, avant tout réaliste et ayant gouverné plus longtemps que quiconque, "s'est aperçu de la vacuité de l'attente messianique de la disparition de l'Etat, des nations, de la religion, du marché, de l'argent".
Dans le Chapitre 4, "Le cours complexe et contradictoire de l'ère stalinienne", [p.181] Losurdo met l'accent sur l'impact des événements extérieurs sur l'évolution du PCUS dans les années 20 et 30 : (p.181): .."né alors que personne ne peut prévoir l'avènement de Staline au pouvoir et avant même la révolution des bolchéviques, le "stalinisme" n'a résulté en premier lieu ni de la soif de pouvoir d'un individu ni d'une idéologie, mais bien de l'état d'exception permanent qui s'empare de la Russie à partir de 1914." Ce que confirme Tucker, p.182, ("Stalin in power, the Revolution from above, 1928-1941", 1990), "Aux débuts des années trente, Staline n'était pas encore un autocrate. Il n'était pas exonéré de devoir se mesurer à la critique, au désaccord et à la véritable opposition dans le cadre du parti communiste." C'est le pouvoir "oligarchique" léniniste, la "dictature du parti", animés par la discussion permanente des dirigeants et ce n'est qu'à partir du déchaînement de la Grande Terreur (1937) que ce pouvoir devient autocratique. Losurdo retrace le processus. Pendant la NEP et le duumvirat Boukharine-Staline (par ex. 1925), il est question de réactiver les soviets, de développer des "normes légales", la "persuasion" et non la terreur  qui "appartient désormais au passé". On insiste sur la compétence et la stratégie du développement économique est encore en discussion. Pour Staline (Gensek), l'appareil d'Etat doit être lié aux masses par de multiples associations et par les soviets, une ligne raillée par Zinoviev. Cependant, le traité de Locarno, entre l'Allemagne et les Alliés européens, réduit les antagonismes inter-impérialistes et l'on reparle d'une "croisade contre le communisme" (AJP Taylor, Les origines de la IIe GM, 1996). Ensuite, Pilsudski (ennemi de l'URSS) prend le pouvoir en Pologne (1926) et pratique une stratégie de la tension (assassinat de l'ambassadeur soviétique à Varsovie). Toukhatchevski réclame une modernisation rapide de l'armée (p.187). Outre qu'elle heurte l'esprit égalitariste des vieux bolchéviques hostiles à l'échelle des rémunérations et des "privilèges", la NEP ne suffit plus à un développement économique accéléré. Staline (discours du 19 nov. 1928) déclare que les dirigeants de l'URSS sont “angoissés par la question de savoir comment défendre "l'indépendance" d'un pays nettement plus arriéré que les puissances ennemies qui l'entourent” (p.187). La chose devient claire en 1929, avec la "crise des céréales" (diminution de l'approvisionnement des villes) qui précipite la rupture avec Boukharine. Ce dernier reprend la ligne de Trotski et préconise une stratégie internationaliste (l'URSS doit être soutenue par le prolétariat des pays capitalistes), au pire moment de l'antagonisme Trotski-Staline[11]. Au contraire, Staline estime que le monde impérialiste est stabilisé (NB malgré la crise de 1929?) et que la défense de l'URSS passe par des alliances d'Etats à Etats, l'industrialisation à marche forcée et la réforme de l'agriculture qui sont devenues ultra prioritaires. Effectivement, les résultats du premier plan quinquennal (1928-1932) sont stupéfiants, la production industrielle est accrue de 250% et les dépenses militaires sont multipliées par cinq entre 1929 et 1940 (Mayer, "The furies..", 2000). Mais la collectivisation, la suppression des koulaks sont catastrophiques[12]. Losurdo parle peu de cette période terrible, sinon pour évoquer les tentatives récurrentes de Staline pour revenir à une situation "normale". Pour montrer la largeur de vues de Staline, Losurdo souligne qu'en 1945-46, il avait annoncé que les pays devenus ensuite "satellites" pourraient choisir leur voie vers le socialisme sans dictature du prolétariat[13] Un projet malheureusement avorté par le déclenchement de la Guerre froide et l'explosion de la bombe H américaine - une arme de guerre totale dirigée contre le communisme - (p.196-99) qui obligea à serrer les rangs[14]. Losurdo évoque ensuite Kirov [assassiné en 1934, par un jeune exalté de l'Opposition de gauche] pour célébrer le dévouement des dirigeants des années 30 (Staline, Kaganovitch), leur boulimie de travail (p.201) et les résultats de leur action. D'un côté les horreurs de la collectivisation forcée qui poussent un haut responsable militaire au suicide et provoque une crise morale chez Boukharine. D'un autre, une énorme "promotion sociale par le haut" et les débuts d'un "solide système de protection sociale" (p.202-207). De sorte que même pendant la Grande Terreur, Staline ne perdit jamais l'adhésion populaire (p.208), ce que même Trotski dut reconnaître implicitement[15].
A la section suivante (p.209-35), le Goulag n'était pas ce que vous croyez!.. Surtout en le comparant aux autres univers concentrationnaires. Losurdo fait d'abord appel à des descriptions d'auteurs "fièrement anticommuniste(s)" comme Applebaum (Gulag, a history, 2003) qui racontent qu'il existait aussi des conditions de détention humaines (promenades, théâtres ou cinéma, bibliothèques, cogestion, tolérances religieuses, etc.). Avec, toutefois, l'obsession productiviste du travail, les "bons prisonniers" étant ceux qui font exploser les normes, avec éventuelles gratifications et remises de peine proportionnelles. Le début des années 30, avec la dékoulakisation et la collectivisation marque une extension considérable du Goulag, mais ce "fut pour les détenus une époque quasiment “prospère” et même “libérale” ." (Chlevnjuk, Storia del Gulag... 2006). Certes, il y eut beaucoup de "tragédies" provoquées par la désorganisation, la pénurie, la famine, "l'incompétence ou la rapacité de dirigeants locaux" et certains endroits, comme les gisements aurifères de la Kolyma, étaient meurtriers[16]. Mais dans d'autres cas d'importance économique majeure, "le Goulag peu à peu apportait la civilisation". Ainsi, au complexe minier de Vorkuta (ville construite sur un terrain constamment gelé), on créa des hôpitaux, des écoles et des ateliers techniques, des serres agricoles et des usines électriques, etc. Dès les années 40 il y avait "un institut géologique et une université, des théâtres [..] des piscines et des crèches".. Jusqu'en 1937, les détenus étaient "rééduqués" et appelés "camarades" (p.215). A partir des Grandes Purges, ils devinrent des "ennemis du peuple". Pendant la guerre, et comme ailleurs en Union soviétique, la famine fut très meurtrière au Goulag : à l'hiver 41-42, qui fit beaucoup de morts à Leningrad, un quart de la population des camps succomba. (p.219-35) Losurdo compare ensuite le Goulag aux déportations aux travaux forcés tsaristes (Sibérie) ou anglaises (en Australie) dans des conditions absolument inhumaines, aux camps alliés de prisonniers allemands en 1946 (Bacque, déjà vu), à l'internement des japonais aux USA. Sa comparaison avec les camps nazis insiste sur l'idéologie raciale exterminatoire des hitlériens qui consistait "à reprendre et radicaliser la tradition coloniale en la mettant en œuvre en Europe orientale" (p.228). Apparaît alors ce qu'il appelle le "Tiers absent" de la comparaison stalinisme-nazisme : les pertes humaines dont on ne parle jamais, celles de la traite et de l'esclavage, qui consommaient les Africains dans les plantations, le génocide des Indiens au Canada, ou le traitement des prisonniers noirs dans les camps de travail US après la guerre de Sécession, etc. L'argument essentiel concernant l'Union soviétique est l'absence d'idéologie meurtrière, raciale ou autre. Les dégâts sont dus aux effrayantes conditions objectives des années 30 où la destruction des structures sociales et la famine ont créé de vastes espaces d'insécurité (Sibérie) "où se concentrent marginaux et hors-la-loi, où des bandes armées attaquent les kolkhozes isolés et tuent les rares “représentants du pouvoir soviétique” (une citation de N. Werth, 2006)..". Le gouvernement fait face à un terrorisme réel et ce n'est qu'avec la dictature, c'est-à-dire "l'autocratie que le pouvoir soviétique arrive au plein contrôle du territoire et de l'appareil d'Etat et la terreur est avant tout la réponse à une crise on ne peut plus aiguë et de longue durée" (p.225). Losurdo admet cependant que les choses ont été aggravées par une certaine hystérie populaire allant de pair avec la nouvelle mobilité sociale de l'industrialisation. Les ouvriers réclamaient le châtiment des traîtres. L'URSS était bien en danger, "mais l'hystérie n'est pas moins réelle", ajoute-t-il (p.227).
Dans la section suivante, l'absurdité d'assimiler nazisme et stalinisme apparaît bien avec le problème des nationalités (p.235). Staline avait noté le réveil des nationalités (tchèques, hongroise, polonaise, lettone, etc.) en Europe centrale après 1918 sur des territoires germanisés ou russifiés. L'URSS fut le premier Etat multiethnique (avec une administration et même un gouvernement multiethniques) fondé sur "l'affirmative action". Les Républiques et les régions autonomes eurent leur drapeau, leur hymne, leur langue nationale écrite et enseignée (et parfois retranscrite de la tradition orale), etc. On fit de gros efforts pour qu'elles aient une personnalité. L'hitlérisme fut l'exact opposé. On peut germaniser le sol, pas les hommes, disait Hitler : un nègre parlant allemand sera toujours un nègre. Pas de mélanges susceptibles d'abâtardir l'élément germanique! Dans les conquêtes à l'Est, les intelligentsias (d'abord polonaise) devaient être anéanties pour faciliter l'asservissement des peuples slaves par la "race des seigneurs".
Pour finir, une "dictature développementiste" (p.241) est la thèse la plus intéressante mais pas vraiment développée. Losurdo voit la société soviétique comme "caractérisée non pas par une uniformité et un alignement totalitaires mais bien par la permanence et l'omniprésence de la guerre civile.." Il compare (très) brièvement la période stalinienne au règne de Pierre le Grand, mais c'est pour parler aussitôt des migrations de la main d'œuvre, de l'absentéisme ouvrier et des conditions de travail plus que tolérantes (exception faite du phénomène spontané de stakhanovisme) dans les usines soviétiques (et chinoises) en comparaison de la discipline rigoureuse à l'Ouest.
Le Chapitre 5, "Refoulement de l'histoire et construction de la mythologie. Staline et Hitler comme monstres jumeaux" [p.251], commence par noter la symétrie de jugement des anciens alliés pour qui l'hitlérisme n'a pas disparu après 1945. Le racisme des Américains ("white supremacy" est dénoncé par Ilya Ehrenburg, "l'impérialisme" occidental par Lukàcs, et le "totalitarisme" soviétique par Arendt. Ghandi avait comparé l'Angleterre coloniale et l'Allemagne hitlérienne; mais aujourd'hui, le "totalitarisme" est devenu lieu commun et Hitler et Staline sont devenus frères jumeaux. Cela est commode pour "refouler" tout le contexte dramatique dans lequel s'est construite l'URSS et tout le passé colonial, racialiste et même génocidaire des pays occidentaux (Angleterre, France, USA). Les nazis n'ont fait que reprendre leurs théories, grâce à HS Chamberlain (p.258). Pour démolir le "théorème des affinités électives" (entre Staline et Hitler) Losurdo rétablit ensuite la chronologie des relations entre Hitler, les puissances occidentales qui viennent le courtiser[17] et l'URSS, avant le pacte germano-soviétique. Ce pacte, improvisé pour gagner du temps a permis à l'URSS d'aider les partisans de Mao et n'a pas trompé tout le monde[18]. A la section suivante, Losurdo dénonce la propagande de l'holocauste ukrainien (Holodomor) qui équivaudrait à l'extermination des Juifs par les nazis (Trotski, né en Ukraine et qui compare Staline à Hitler, n'en parle pas) et évoque l'utilisation de la famine terroriste par l'Occident libéral. Tocqueville appelait à brûler les récoltes en Algérie, Jefferson à "imposer à Toussaint la mort par inanition" (p.289), sir Charles E Treveylan remerciait la Providence d'avoir résolu, par une grande famine, le problème de la surpopulation et de la rébellion irlandaises (p.290)[19]. (p.292) La suite est largement consacrée à la légende de l'antisémitisme supposé de Staline[20]. Les bolchéviques comptaient beaucoup de Juifs parmi eux, la croisade de Hitler contre le "judéo-bolchévisme" n'était pas sans raison et Trotski était le grand satan juif. En raison de l'extermination nazie, les soviétiques savaient pouvoir compter sur les cadres communistes juifs dans les pays d'Europe qu'ils occupaient (Ràkosi en Hongrie). De même que Lénine avait appelé à "liquider" l'antisémitisme, traditionnel en Russie tsariste, Staline a dénoncé l'antisémitisme nazi avant et après l'arrivée au pouvoir de Hitler (en 1931 et 1936, p.309), qu'il traite de "cannibalisme". Roosevelt et Churchill ne l'ont jamais fait et ont eu des complaisances antisémites. Au tribunal de Nuremberg, les soviétiques ont souligné l'horreur du judéocide nazi. Staline a soutenu la fondation d'Israël et armé la "Haganah" avec des armes Tchèques. A cette époque, les sionistes sont prosoviétiques et anti-occidentaux (p.317).
Puis, Losurdo évoque le tournant de la Guerre froide et le chantage aux époux Rosenberg (1952-53, communistes et juifs) qui correspond aux procès Rajk (1949) et Slansky (1952) en Hongrie et Tchécoslovaquie[21]. Le Maccarthysme presse les Juifs américains de dénoncer l'antisémitisme soviétique et cette légende noire qui ne repose sur rien[22] va s'amplifier (Krouchtchev l'utilisera) au fur et à mesure que le rapport de forces devient plus favorable à l'Occident (p.325). Elle se nourrit toutefois d'un vrai problème des années 1947-1950 : la pression sioniste à l'émigration des Juifs (tchèques, hongrois, etc.) en Israël. Celle-ci provoque une hémorragie de cadres éduqués dans les nouveaux pays "socialistes" qui entraîne une réaction du gouvernement et du parti (où se trouvent d'autres Juifs communistes). Par ailleurs, une majorité de Juifs survivants de la "Shoah" ne souhaitent qu'une chose : l'assimilation. L'affaire s'envenime à cause du noyautage des organisations sionistes par la CIA[23] et de l'évolution d'Israël qui ne reste pas neutre dans les tensions Est-Ouest (affaire de Suez, 1956). L'antisionisme des gouvernements communistes sera dénaturé en "antisémitisme". Dans la section suivante, Losurdo évoque l'amalgame de ce faux "antisémitisme stalinien" avec la lutte des soviétiques contre le "cosmopolitisme", en fait l'internationalisme trotskiste, qui ne s'incarne pas dans des luttes nationales. Dès les années 20 et 30, Gramsci comme Staline appelle à conjuguer internationalisme et patriotisme. (p.334-35) Losurdo note que le problème avait été traité par Kant et par Hegel (Philosophie du droit, §209A et 126Z), à propos de la Révolution française. Ce dernier souligne l'importance du concept universel d'homme, titulaire de droits "en tant qu'homme et non en tant que Juif, catholique, protestant, Allemand, Italien, etc..", mais qui ne doit pas déboucher sur une "universalité vide", l'amour abstrait du genre humain devenant un moyen de fuir les responsabilités concrètes liés à la famille, la société, la nation.
Le Chapitre 6, "Psychopathologie, morale et histoire dans la lecture de l'ère stalinienne" [p.345], passe en revue un certain nombre d'événements relativisant largement les "crimes de Staline" en montrant que le pire fut également perpétré dans le "camp de la liberté". Plutôt que de croire en la "paranoïa" de Staline, demandons nous d'abord s'il existe des dangers objectifs et ce que font habituellement les dirigeants pour les contrer. Churchill : "..il y avait alors en Angleterre vingt mille nazis organisés" (p.347) et des mesures avaient été prises pour arrêter tous ceux qu'on pouvait soupçonner de sympathiser avec l'ennemi (un critère flou!). Mieux encore, Roosevelt, qui comprenait bien "la valeur de l'anxiété nationale" [NB confronté à l'isolationnisme américain], lança de nombreuses campagnes alarmistes : la "cinquième colonne", des attaques de parachutistes nazis sont imminentes, taisez-vous, les espions sont partout, etc. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la "paranoïa" de l'Occident libéral valait bien celle de Staline. Et pourtant (donnée géopolitique majeure) les USA, encadrés par deux océans, le Canada et le Mexique, étaient tout de même moins vulnérables que l'URSS. Les tentatives d'infiltration de sabotage et d'espionnage en URSS furent constantes pendant la Guerre froide (réseaux Gehlen, etc.) et, en 1974, (p.354) d'après un grand quotidien US, un certain "Gus Weiss" organisa pour la CIA une campagne de sabotage d'ordinateurs qui entraîna une énorme explosion en Sibérie "et aida les Etats-Unis à gagner la Guerre froide." (p.354)
L'indignation sur les "crimes" de Staline a la mémoire courte. Dans les années 1920, c'était l'extermination de masse (Völkermord) de la Première Guerre mondiale qui était dans toutes les mémoires."Horrible fabrique de cadavres" (Boukharine), "affaire quotidienne et ennuyeusement monotone" qui répand "une atmosphère d'assassinat rituel" (Luxembourg), "retour à la barbarie morale" (Liebknecht), "le travail de Caïn de la presse "patriotique" [des deux camps] est la démonstration irréfutable de la décadence morale de la société bourgeoise" (Trotski), "barbarie scientifique [qui utilise les grandes découvertes] pour détruire les fondements de la vie sociale civilisée, et anéantir l'homme" (Trotski), etc., etc. Encore plus répugnant, ces massacres sont glorifiés par certains hommes politiques (p.361). Ainsi, Théodore Roosevelt parle de celui qui jouit dans la bataille, qui jouit "de la douleur, de la peine, du danger comme s'ils ornaient son triomphe", ou encore : "la guerre est un jeu au cours duquel il faut sourire" (Churchill), la Première Guerre mondiale, "grande et merveilleuse" (Max Weber), et "purification des hommes" (Herbert Hoover), fut une "régénération de la vie sociale présente" (B. Croce). (p.362) Les massacres sont justifiés par le darwinisme. En 1913, un auteur allemand écrivait : "La lutte pour l'existence exacerbe l'hostilité entre Européens et pousse à des tentatives de destruction réciproque." Ou simplement par l'intérêt, comme en Afrique, où Anglais, Français et Allemands ont exterminé des populations entières pour "piller la terre et devenir propriétaires fonciers" (Lénine). Mais pourquoi s'en émouvoir? (p.363) "heureusement, les hommes politiques durs et énergiques qui accomplissent en pionniers le travail difficile de civiliser des territoires barbares ne se laissent pas abattre par de faux sentimentalismes" (Théodore Roosevelt) en écho à Bugeaud, que Tocqueville admirait comme un modèle "d'énergie" et de "vigueur sans pareille" et qui se moquait des "excellents philanthropes", inquiets des brutalités sanguinaires de la conquête française en Algérie. La Révolution d'Octobre a soulevé l'espoir du "plus jamais ça" par rapport à la Première Guerre mondiale. Au cours de celle-ci, les classes populaires se sont massacrées (comme disait V. Pareto : "prolétaires de tous les pays, tuez-vous!"[24]) d'autant plus facilement qu'il régnait au front une "discipline de caserne-prison" et que les arrières étaient "des bagnes militaires pour les ouvriers" (Lénine). Evidemment, la dénonciation de la Realpolitik bourgeoise par les révolutionnaires russes ne plaît pas à M. Benedetto Croce qui ironise sur la figure odieuse et ridicule des bolchéviques, ces "moralistes politiques" qui ont ouvert "une grande cour de justice appelant tous les peuples à l'examen" et qui, de plus, "ont rendu publics les traités diplomatiques". Pour lui, il est absurde de "prononcer un jugement moral sur les Etats" et d'attribuer "des droits à qui ne sait pas les conquérir ou ne sait pas les défendre" (p.366).
Losurdo évoque ensuite les politiques de terreur et d'extermination. Churchill défendait la "race" anglaise et voulait faire une politique eugéniste en 1911. Il justifiait ensuite le mitraillage par avion des manifestations indépendantistes en Inde et, finalement, ordonnait des bombardements terroristes massifs sur Dresde, Hambourg, etc. Peu après, Truman détruisait Hiroshima et Nagasaki, en lançant du même coup un avertissement à l'URSS. Le racisme n'était pas absent de ces plans, les Japonais étaient des "sous-hommes" et Roosevelt, un moment pensa faire castrer les Allemands tandis que la ségrégation des Noirs restait en vigueur dans l'armée et les villes américaines. Roosevelt n'impulsa jamais aucun projet de loi contre les lynchages (p.376).
La question des jugements moraux en histoire est évidemment teintée d'idéologie. Si Hitler est unanimement considéré comme la figure du Mal, quelques historiens ont tout de même noté que les politiciens anglais et français de "l'apaisement" avec lui (qui voulaient le "lancer" sur l'URSS) avaient tout de même une lourde responsabilité. Si Staline est aujourd'hui placé sur le même plan que Hitler, il a été crédité, après la guerre de la principale contribution à la victoire. Cela excuse-t-il le Goulag, et plus encore Katyn, par exemple?. Avant de juger, il faut être sûr du caractère exemplaire de ce dernier épisode, un crime massif "motivé" par d'expéditives raisons de sécurité. Or la Guerre de Corée a été le cadre de plusieurs Katyn. Les réfugiés fuyant le Nord bombardé par l'aviation US furent souvent fusillés par les Américains et les Sud-Coréens de peur que des espions ne s'infiltrassent parmi eux, même lorsqu'il s'agissait de femmes et d'enfants[25].
A la fin du chapitre, Losurdo évoque la comparaison (faite par Churchill) de Staline à Pierre le Grand, tsar fondateur de la Russie moderne qui assimila les techniques occidentales, créa un Etat nouveau[26] et, ne l'oublions pas, fut le Tsar de référence de l'histoire russe pour Lénine et Staline. Mais la comparaison renvoie à un contexte exclusivement national russe alors que l'URSS s'est voulu internationaliste dans le sens où cohabitaient (mais à l'intérieur de ses frontières) de nombreuses races et nationalités sur un pied d'égalité. Ce fait même eut beaucoup d'écho chez les Noirs américains qui comparèrent Staline à "un nouveau Lincoln". La propagande communiste sur le principe d'égalité raciale joua un rôle important aux USA dans la lutte pour l'intégration et les droits civiques. Dans sa Constitution de 1936 (certes, jamais entrée en vigueur), l'URSS condamne les trois grandes discriminations caractéristiques de l'Occident libéral (classes, sexes et races), en même temps qu'elle veut garantir de nouveaux droits (au travail, au repos, à l'instruction et à la culture). Ces droits étaient la base du totalitarisme pour l'ultra-libéral von Hayek. Enfin, « last but not least » (p.396) Losurdo estime que le "stalinisme" n'est pas un concept pertinent, dans la mesure où Staline était essentiellement pragmatique et où son système despotique répondait à des états d'exception successifs. Avec pour corollaire que lorsque ceux-ci se sont atténué, le parti est "comme écrasé par l'avènement de cette relative normalité" (p.397).
Le Chapitre 7, "L'image de Staline, entre histoire et mythologie" [p.399], examine les sources historiques de "l'image de Staline" et les hauts et les bas de celle-ci qui sont accompagnés de toutes sortes de mensonges[27]. Les textes de Trotski qui, en 1939 aveuglé de haine, traite Staline de "majordome de Hitler" y sont pour quelque chose. Ces dénigrements ont été relancés par Krouchtchev après une brève période (de Stalingrad à la Guerre froide) où Staline incarnait l'URSS héroïque et où le bien fondé des procès de Moscou (complots) était reconnu (de Gasperi, etc). De ce point de vue, dit Losurdo, l'évolution de Deutscher est caractéristique : d'abord favorable à Staline, puis trop vite convaincu par Krouchtchev, il en revient ensuite (p.406). Heureusement, les (vraies) recherches historiques récentes rétablissent la vérité, au moins sur le mensonge Staline-assassin-des-nations (bien au contraire il reconnut le fait national dès 1913 et fut l'artisan d'une "affirmative action" bien réelle [NB le contraire des thèses de Carrère d'Encausse, d'origine géorgienne] et sur Staline-mauvais-chef-de-guerre[28]. Losurdo s'interroge ensuite sur les motifs contradictoires de la diabolisation de Staline et constate qu'une fois lancée, une mythologie noire s'enrichit de nombreux détails inventés. L'histoire de la Révolution française regorge de ces mensonges et le bolchevique au couteau entre les dents a succédé au jacobin "avide de sang".
Le Chapitre 8, "Diabolisation et hagiographie dans la lecture du monde contemporain" [p.423] commence par la "crucifixion de la Chine" au 19e et 20e siècles jusqu'à Truman et Kennedy qui utilisèrent l'arme des blocus de famine pour retarder le développement du pays. Les catastrophes maoïstes du "grand bond en avant" et de la Révolution culturelle en sont partiellement la conséquence.. Il est question ensuite du Cambodge de Pol Pot (soutenu indirectement par les USA) et des bombardements US, beaucoup plus meurtriers. Losurdo revient ensuite sur la collusion entre les dirigeants anglo-saxons libéraux et Hitler sur le thème des droits de la "race supérieure" et du racisme (white supremacy). Il détaille ensuite les épouvantables tortures et les lynchages infligés aux Noirs dans le Sud des USA de Roosevelt[29] (p.451) et évoque ensuite le génocide des Mau-Mau au Kenya par les Anglais, de 1952 à 1959. Il revient également (pour la nième fois) sur Tocqueville qui réclame l'exécution de tous les révoltés de juin 1948 et le nettoyage des nouveaux jacobins, Tocqueville qui recommande des pratiques coloniales quasiment génocidaires en Algérie et en particulier qu'on ne laisse "subsiter.. aucune ville dans les domaines d'Abd'el-Kader". Losurdo est ici terriblement répétitif et confus. Il aboutit cependant à la conclusion que le fil qui conduit des penseurs libéraux, Mill et Tocqueville, au travail forcé et aux massacres coloniaux est beaucoup plus direct que celui que les anticommunistes veulent tisser entre Marx et Engels et les "crimes de Staline" au prix d'amnésies historiques majeures. Entre de nombreuses digressions, on comprend son argument : pour mieux cacher les événement et enchaînements décisifs, on fabrique une histoire tératologique à base de "monstres". Mais l'enfance et l'adolescence de Hitler ne nous apprendraient rien sur les origines et la genèse du nazisme, ni la psychologie des Pères fondateurs américains sur l'esclavage et l'extermination des Peaux-Rouges, ou la personnalité de Bush junior sur Guantanamo, etc. Cet argument s'applique aussi à ceux, bien ou mal intentionnés, qui veulent voir (après Trotski et Krouchtchev) dans le "stalinisme" une monstrueuse "dégénérescence" des nobles idéaux de Marx et de Lénine. Staline serait donc un fou, un "dégénéré", tout comme Cromwell et quelques autres? Ce genre d'explication n'en est absolument pas une.
[p.473] Intéressante Postface de Luciano Canfora : "De Staline à Gorbatchev, comment finit un Empire".
Canfora rive le clou. p. 476-77 il évoque "la volonté bien enracinée dans l'esprit de Hitler de détruire tôt ou tard l'URSS (comme Kershaw l'a bien documenté dans ses livres), ainsi que la faible volonté anglo-française d'arriver vraiment à un pacte anti-allemand avec Staline (Churchill l'écrit très bien dans son "De guerre à guerre"). Sans parler de l'hostilité polonaise à laisser passer les troupes soviétiques sur son propre territoire en cas de conflit..."
Evocation d'une "époque de fer", le livre Der geplante Tod (La mort planifiée) de Bacque[30], raconte l'anéantissement de centaines de milliers de prisonniers allemands par les USA.
Le culte du chef dans une guerre ou une lutte politique est un phénomène très répandu. Le mausolée de Lénine ("pharaonico-hellénistico-byzantin") fut voué par Staline au "besoin de charisme des masses soviétiques". Il n’y a rien d'extraordinaire là-dedans.
(p.479) Croce n'était pas dupe, lui qui a écrit, dans son Histoire d'Europe que "le communisme ne s'est point réalisé en Russie en tant que communisme" (1932).
(p.480-81) "Staline revient aujourd'hui dans le sentiment collectif des Russes" sans doute en raison du contraste entre le déclin actuel et ce qu'avait fait Staline de la Russie "en la restaurant de sa situation d'infériorité matérielle et d'isolement". Canfora ajoute : "Molotov se souvient que Staline lui avait dit un jour : à ma mort, ils jetteront des ordures sur ma tombe, mais plus tard ils comprendront." Bien sûr, on reproche à Staline d'immenses hécatombes mais le jugement de l'Histoire oscille aujourd'hui comme il l'avait fait au cours du XIXe siècle pour la Révolution française. "Cette échelle d'évaluation.... a été dernièrement polluée par les monstruosités dudit Livre noir de Courtois et de ses collègues : livre qui inclut parmi les "victimes de Staline" jusqu'aux millions de morts de la guerre mondiale, ou parmi les "victimes du communisme", les victimes innombrables de l'UNITA en Angola. Après ce monstrueux pamphlet, il est ardu de ramener la réflexion sur un plan décent, et le rapide démantèlement, qui a ensuite suivi, de ces chiffres vertigineux ne suffit pas non plus. Le problème central est le lien entre Révolution et Terreur.." Staline a envoyé à la mort "des foules de communistes", mais le "grand écrivain juif, Lion Feuchtwanger, a évoqué à propos des “grands procès” un facteur capital “La majeure partie des accusés était en premier lieu des conspirateurs et des révolutionnaires, ils avaient été toute leur vie des subversifs et des opposants, ils étaient nés pour ça.” [Feuchtwanger, 1946, p.97 ?“Mosca, 1937, etc.”? en ital.] De même, De Gasperi (discours au Brancaccio) : “Nous croyions que les procès étaient faux, les témoignages inventés, les confessions extorquées. Voilà que des informations américaines objectives assurent qu'il ne s'agissait pas d'un faux, et que les saboteurs n'étaient pas de vulgaires escrocs, qu'ils étaient de vieux conspirateurs idéalistes [..] qui affrontaient la mort plutôt que de s'adapter à ce qui était pour eux une trahison du communisme originel".
(p.481-82) Pour Canfora, le discours de Krouchtchev et la "déstalinisation" inauguraient une lutte pour le pouvoir au sommet, non différente de celle qui avait opposé Trotski et Staline, une véritable guerre civile à l'intérieur du Parti. Un événement éclaire ce conflit et la répression ininterrompue qui s'ensuivit dans les années de gouvernement de Staline avant la guerre, "le coup d'Etat tenté par Trotski à Moscou le 7 novembre 1927 à l'occasion du défilé pour la décennie de la Révolution." Le coup manqua[31] et laissa une division profonde dans le parti "où le prestige de Trotski restait énorme". Ce fut une guerre civile rampante présentée par la propagande comme une lutte contre des "saboteurs". Elle aboutit aux "procès de Moscou et à la Grande Terreur (purges) de 1937-38.
La question principale : Staline s'est-il perçu d'abord comme un homme d'Etat russe voué à la renaissance de son pays ou comme un dirigeant communiste ayant des responsabilités mondiales? Cette question agite surtout l'historiographie d'inspiration trotskiste (Trotski, Rosenberg, Deutscher) mais elle est oiseuse pour les raisons suivantes. (p.484) "Il y a trois moments capitaux dans la politique des relations internationales de l'URSS qui en constituent le “fil rouge” et qui s'éclairent réciproquement : Brest-Litovsk (janvier 1918), le “pacte” russe-allemand (août 1939), Yalta (février 1945)." A Brest-Litovsk, Staline se retrouve du côté de Lénine contre Trotsky qui fait tout pour torpiller la paix et démissionne de son poste de commissaire aux affaires internationales (Zinoviev et Kamenev hésitent). L'affaire est importante et évoquée avec du vrai et du faux aussi bien dans l'Histoire du Parti communiste d'URSS (officielle, contrôlée par Staline) que dans l'autobiographie de Trotsky (Ma vie). (p.486) Ce dernier rêvait de Valmy et "cultivait l'illusion" d'un incendie révolutionnaire balayant l'Europe après une reprise des hostilités entre l'Allemagne et les Soviets. Le choix réaliste de Lénine et de Staline est "l'acte de naissance de la politique extérieure soviétique", une politique d'Etat basée sur le principe “que les impérialistes se massacrent entre eux, nous, nous restons en dehors et nous nous renforçons” [..]", et son corollaire : "le renforcement de l'URSS profite à la cause de la révolution à l'échelle planétaire". (p.488-489) Ce fut exactement la même problématique en 1939, après l'écroulement de la République espagnole (dont l'URSS fut le seul soutien) dans une situation d'autant plus dangereuse que le Japon lorgnait sur la Sibérie avant d'en être dissuadé par la victoire de Joukov à Kalkhin-Gol, à l'été 1939, en même temps que le pacte germano-soviétique. Entre les deux, l'échec de la vague révolutionnaire de 1919-1920 (Berlin, Munich, Budapest) avait montré que le choix étatique, pragmatique et réaliste, avait été bon. Comme le dit Gorbatchev, en 1987, au 70e anniversaire d'Octobre : "la vie et la mort, balayant les mythes, devinrent le seul critère de la réalité". Enfin, après l'épreuve de la Grande Guerre patriotique, les discussions avec Roosevelt et Churchill sur la Pologne et les pourcentages des "zones d'influence" aboutirent, à Yalta, au maintien des avantages territoriaux obtenus par l'URSS en août 1939 (pacte germano-soviétique), puisque la Pologne était déplacée vers l'Ouest (p.491). Tout cela était de la politique d'Etat, une politique de sécurité entre Etats, finalement confirmée à Helsinki, le 1er août 1975 par la Conférence pour la sécurité et la collaboration en Europe consacrant l'inviolabilité des frontières issues de la deuxième Guerre Mondiale.
Deutscher (1954) a écrit :“Sous un aspect crucial Staline poursuivit l'œuvre de Lénine : il essaya de défendre l'Etat construit par Lénine et d'en augmenter la puissance”. Ce n'était pas la perspective du communisme marxien de dépérissement de l'Etat. Et Deutscher d'ajouter : “une seule voie s'ouvrait devant lui, celle qui conduisait à l'autocratie” [..] “le régime bolchevique ne pouvait pas revenir à ses origines démocratiques, parce qu'il ne pouvait pas espérer un appui suffisant pour en garantir la survie.”
(p.492bas-497) Enfin, Canfora s'interroge sur les motivations de Gorbatchev qui commence à démanteler spontanément, après 1988, ses positions de force. Il révèle l'existence (1) d'une alliance entre le pape Wojtyla et R. Reagan pour un soutien massif à Solidarnosc et Walesa, et (2) suggère des contacts entre le pape et Gorbatchev. Canfora termine en comparant l'URSS à l'Empire athénien (70 ans, espoir et coercition), Staline à Périclès et Gorbatchev à Adimante.
En passant, Canfora indique qu'en 1945, Staline ne voulait pas ériger la zone soviétique en Etat allemand (DDR) ni imposer le modèle soviétique aux "pays de l'Est" (Losurdo, ch.4, p.196-99). Chaque pays devait choisir sa voie. Mais la Guerre froide imposa de resserrer les rangs.

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Table des matières
Préambule
Le tournant dans l'histoire de l'image de Staline......................................... 11
De la Guerre froide au Rapport Khrouchtchev ................................................... 11
Pour un comparatisme tous azimuts................................................................ 20
1. Comment précipiter un dieu en enfer : le Rapport
Khrouchtchev
........................................................................................... 27
1.1. Un « énorme monstre humain, sombre, capricieux et dégénéré »............................. 27
1.2. La Grande Guerre patriotique et les « inventions »
de Khrouchtchev.......................................................................................................................... 31
1.3. Une série de campagnes de désinformation et l'opération Barbarossa.................... 35
1.4. L'échec de la guerre-éclair se profile rapidement........................................................ 40
1.5. La carence de « bon sens » et les « déportations
de masse de populations entières ».......................................................................................... 51
1.6. Le culte de la personnalité en Russie de Kerenski
à Staline........................................................................................................................................ 59
2. Les bolcheviques du conflit idéologique à la
guerre civile............................................................................................. 65
2.1. La Révolution russe et la dialectique de
Saturne
.......................................................................................................................................... 65
2.2. Le ministère des Affaires étrangères « ferme
boutique »
...................................................................................................................................... 69
2.3. Le déclin de l'« économie de l'argent » et de la
« morale mercantile »
............................................................................................................... 77
2.4. « Ne fais plus de distinction entre le tien et le mien » :
la disparition de la famille
......................................................................................................... 88
2.5. La condamnation de la « politique des chefs » ou:
la « transformation du pouvoir en amour »
............................................................................ 91
2.6. L'assassinat de Kirov : complot du pouvoir ou
terrorisme?.................................................................................................................................. 98
2.7. Terrorisme, coup d'État et guerre civile....................................................................... 104
2.8. Conspiration, infiltration dans l'appareil d'État
et « langue ésopique »
............................................................................................................. 108
2.9. Infiltration, désinformation et appels à
l'insurrection
............................................................................................................................. 115
2.10. Guerres civiles et manœuvres internationales.......................................................... 119
2.11. Entre « renversement bonapartiste », « coups d'État »
et désinformation : le cas Toukhatchevski
........................................................................... 127
2.12. Trois guerres civiles...................................................................................................... 133
3. Entre XXe siècle et longue durée, entre histoire du
marxisme et histoire de la Russie : les origines du «stalinisme»
............ 137
3.1. Une catastrophe annoncée................................................................................................ 137
3.2. L'État russe sauvé par les partisans de l'« extinction
de l'État »
.................................................................................................................................... 144
3.3. Staline et la conclusion de la Seconde Période
des désordres
............................................................................................................................. 147
3.4. Utopie exaltée et prolongation de l'état
d'exception
.................................................................................................................................. 151
3.5. De l'universalisme abstrait à l'accusation de
trahison
....................................................................................................................................... 158
3 6. La dialectique de la révolution et la genèse de
l'universalisme abstrait
.......................................................................................................... 163
3.7. Universalité abstraite et terreur dans la Russie soviétique...................................... 168
3.8. Ce que gouverner signifie : un processus
d'apprentissage tourmenté
...................................................................................................... 174
4. Le cours complexe et contradictoire de l'ère
stalinienne............................................................................................................................... 181
4.1. De la relance de la "démocratie soviétique" à
la «nuit de la Saint-Barthélémy
.............................................................................................. 181
4.2. Du «démocratisme socialiste à la Grande
Terreur
...................................................................................................................................... 192
4.3. Du « socialisme sans dictature du prolétariat » au
tour de vis de la Guerre froide
................................................................................................ 196
4.4. Bureaucratie ou « foi furieuse »?.................................................................................. 199
4.5. Un univers concentrationnaire riche de
contradictions
........................................................................................................................... 209
4.6. Sibérie tsariste, «Sibérie» de l'Angleterre libérale
et Goulag soviétique
................................................................................................................. 219
4.7. L'univers concentrationnaire en Russie soviétique
et dans le Troisième Reich
..................................................................................................... 222
4.8. Goulag, Konzentrationslager et Tiers absent.............................................................. 229
4.9. Le réveil national en Europe orientale et dans les
colonies: deux réponses antithétiques
................................................................................... 235
4.10. Totalitarisme ou dictature développementiste ?........................................................ 241
5. Refoulement de l'histoire et construction de la
mythologie. Staline et Hitler comme monstres jumeaux
............................... 251
5.1. Guerre froide et reductio ad Hitlerum du nouvel ennemi......................................... 251
5.2. Le culte négatif des héros ............................................................................................... 256
5.3. Le théorème des affinités électives entre Staline
et Hitler
....................................................................................................................................... 261
5.4. L'holocauste ukrainien comme pendant de
l'holocauste juif
......................................................................................................................... 277
5.5. La famine terroriste dans l'histoire de l'Occident
libéral
......................................................................................................................................... 286
5.6. Symétries parfaites et auto-absolutions :
antisémitisme de Staline?
...................................................................................................... 292
5.7. Antisémitisme et racisme colonial : la polémique Churchill-Staline..................... 299
5.8. Trotski et l'accusation d'antisémitisme adressée à Staline..................................... 302
5.9. Staline et la condamnation de l'antisémitisme tsariste et nazi................................. 308
5.10. Staline et le soutien à la fondation et à la
consolidation d'Israël
............................................................................................................... 314
5.11. Le tournant de la Guerre froide et le chantage
aux époux Rosenberg
............................................................................................................... 321
5.12. Staline, Israël et les communautés juives de
l'Europe orientale
...................................................................................................................... 325
5.13. La question du « cosmopolitisme ».............................................................................. 331
5.14. Staline à la « cour » des Juifs, les Juifs à la « cour »
de Staline
.................................................................................................................................... 338
5.15. De Trotski à Staline, du monstre « sémite » au
monstre « antisémite »
............................................................................................................. 342
6 Psychopathologie, morale et histoire dans
la lecture de l'ère stalinienne....................................................................................... 345
6.1. Géopolitique, terreur et « paranoïa » de Staline.......................................................... 345
6.2. La « paranoïa » de l'Occident libéral ............................................................................ 355
6.3. Immoralisme ou indignation morale?............................................................................ 358
6.4. La reductio ad Hitlerumm et ses variantes.................................................................. 369
6.5. Conflits tragiques et dilemmes moraux ....................................................................... 377
6.6. Le Katyn soviétique et le « Katyn » états-unien et
sud-coréen
.................................................................................................................................. 385
6.7. Inéluctabilité et complexité du jugement moral........................................................... 389
6.8. Staline, Pierre le Grand et le « Nouveau Lincoln ».................................................... 391
7. L'image de Staline entre histoire et mythologie................................................. 399
7.1. Les différentes sources historiques de l'image actuelle de Staline........................ 399
7.2. Les hauts et les bas de l'image de Staline..................................................................... 403
7.3. Motifs contradictoires dans la diabolisation
de Staline
.................................................................................................................................... 410
7.4. Lutte politique et mythologie entre Révolution française
et Révolution d'octobre
............................................................................................................ 415
8. Diabolisation et hagiographie dans la lecture
du monde contemporain.................................................................................................. 423
8.1. De l'oubli de la Seconde Période des désordres en
Russie à l'oubli du Siècle des humiliations en Chine
........................................................ 423
8.2. Le refoulement de la guerre et la production en
série des monstres jumeaux de Hitler
................................................................................... 433
8.3. Socialisme et nazisme, Aryens et Anglo-Celtes.......................................................... 437
8.4. Le Nuremberg anticommuniste et la négation
du principe du tu quoque
......................................................................................................... 444
8.5. Diabolisation et hagiographie : l'exemple du
« plus grand historien moderne vivant »
............................................................................... 452
8.6. Révolutions abolitionnistes et diabolisation
des « blancophages » et des barbares
................................................................................... 456
8.7. L'histoire universelle comme « histoire grotesque
de monstres » et comme « tératologie » ?
............................................................................ 460
Postface de Luciano Canfora
De Staline à Gorbatchev:

comment finit un empire........................................................................ 473





[1] Même dans son discours de Fulton (5 mars 1946) qui lance l'expression du "rideau de fer" et inaugure la Guerre froide, Churchill évoque son admiration pour le peuple russe et le maréchal Staline.
[2] "Sur le culte de la personnalité et ses conséquences", lu le 26 février 1956 au XXe Congrès du PCUS au cours d'une séance fermée aux délégations étrangères, d'où le terme  "Rapport secret".
[3] p.67, Losurdo : "L'effroi et l'indignation sont universellement répandus sur l'immense carnage et sur la façon dont se présentent les différents Etats en lutte, tels des Molochs sanguinaires, décidés à sacrifier des millions d'hommes sur l'autel de la patrie, et engagés, en réalité, dans une compétition impérialiste pour l'hégémonie mondiale. Tout cela va stimuler la revendication d'un ordre politico-social totalement nouveau : il s'agissait d'éradiquer une fois pour toutes les horreurs qui s'étaient manifestées à partir de 1914. Alimentée ultérieurement par une vision du monde (qui avec Marx et Engels semble invoquer un avenir sans frontières nationales, sans rapports mercantiles, sans appareil d'Etat et même sans coercition juridique) et par un rapport quasi religieux avec les textes des pères fondateurs du mouvement communiste, cette revendication ne peut pas ne pas être déçue au fur et à mesure que la construction du nouvel ordre commence à prendre corpsVoilà pourquoi, bien avant de faire irruption au centre de la réflexion et de la dénonciation de Trotski, après s'être déjà manifesté au moment de l'écroulement de l'autocratie tsariste, le thème de la révolution trahie accompagne comme une ombre l'histoire qui a commencé avec l'accession au pouvoir des bolchéviques."
[4] Citation des Œuvres complètes de Staline (1971-73, en allemand, vol.4, p.252): "La victoire de Denikine et de Kolçak signifie la perte de l'indépendance de la Russie, la transformation de la Russie en une copieuse source d'argent pour les capitalistes anglo-français. En ce sens, le gouvernement Denikine-Kolçak est le gouvernement le plus antipopulaire et le plus antinational. En ce sens, le gouvernement soviétique est le seul gouvernement populaire et national dans le meilleur sens du terme, parce qu'il porte avec lui non seulement la libération des travailleurs du capital, mais aussi la libération de toute la Russie du joug de l'impérialisme mondial, la transformation de la Russie de colonie à pays libre et indépendant."
[5] Interview donné par Staline à Roy Howard (le Times) en 1936.
[6] A l'idéalisation chrétienne de la pauvreté (et de l'égalité dans la pauvreté) doit être substitué le dépassement de la pauvreté comme telle. "Il serait stupide de croire que le socialisme puisse être édifié sur la base de la misère et des privations, en restreignant les besoins personnels et en abaissant le niveau de vie.." (Staline, Œuvres complètes [alld], 1971-73, vol.13, p.317-319; = Staline, 1977, Ed.Soc., p.757-9)
[7] Losurdo p.150 :"Dans la mesure où le pouvoir charismatique était encore possible, celui-ci tendait à prendre corps dans la figure de Trotski, le génial organisateur de l'Armée Rouge et le brillant orateur et prosateur qui prétendait incarner les espoirs de [..] la révolution mondiale, et qui en faisait découler la légitimité de son aspiration à gouverner le parti et l'Etat. Staline était par contre l'incarnation du pouvoir légal traditionnel, qui cherchait laborieusement à prendre forme : au contraire de Trotski arrivé tard au bolchévisme, il représentait la continuité historique dans le parti [..] de la révolution et, donc, détenteur de la nouvelle légalité ; de surcroît, en affirmant la faisabilité du socialisme dans un seul (grand) pays, Staline conférait une nouvelle dignité et identité à la nation russe, dépassant ainsi la crise épouvantable, qui n'était pas seulement matérielle, subie à partir de la défaite et du chaos de la Première Guerre mondiale : et la nation retrouvait sa continuité historique. Mais à cause de cela justement, les adversaires criaient à la "trahison", tandis que, aux yeux de Staline et de ses disciples, apparaissaient comme traîtres ceux qui avec leur aventurisme, en facilitant l'intervention des puissances étrangères, mettaient en danger [..] la survie de la nation russe, qui était en même temps le département d'avant-garde de la cause révolutionnaire."
[8] Discours de Staline du 4 fév. 1931 : "Nous bolchéviques, qui avons fait trois révolutions, qui sommes sortis victorieux d'une guerre civile atroce, devons aussi prendre à [notre] charge le problème du dépassement de la traditionnelle arriération industrielle et la fragilité militaire de la Russie." [..] "Dans le passé, nous n'avions pas et ne pouvions pas avoir de patrie" (Œuvres.. idem, 1971-73, p.33 et 36; "Questions du léninisme", 1977, p.535-36).
[9] Citation p.178, "On dit que la production marchande doit néanmoins, en toutes circonstances, aboutir et aboutira absolument au capitalisme. Cela est faux. Pas toujours ni en toutes circonstances! On ne peut identifier la production marchande à la production capitaliste. Ce sont deux choses différentes." (Œuvres.. idem, 1971-73, p.263-70, ou bien : "Les problèmes économiques du socialisme en URSS", 1952, Ed. Soc., p.11-20)
[10] "Trotski [..croyait] synthétiser la leçon de Marx, Engels et Lénine en ces termes : “La génération qui a conquis le pouvoir, la vieille garde commence la liquidation de l'Etat; la génération suivante achève la besogne." (p.178, Trotski, La révolution trahie, Ed. 4e Intle, 1961, p. 137)
[11] Trotski est chassé du gouvernement en 1925, exclu du parti en 1927, exilé en 1929 et assassiné en 1940
[12] [NB - Les paysans résistent à la suppression de la propriété privée de la terre en incendiant les récoltes ou par des soulèvements armés (1300 sont réprimés en 1929). Guerre civile sporadique, déportations de "koulaks", improvisation générale et réquisitions entraînent des famines qui font plusieurs millions de morts, tandis que 25 millions de paysans affluent vers les villes, (rationnées de 1927 à 1935), fournissant une main d'œuvre abondante, tandis que l'achat à bas prix de la production agricole des kolkhozes et sovkhozes aide à financer l'industrialisation. La collectivisation, terminée en 1934, se solde par un bilan humain très lourd et un nouveau type de servage à la campagne. En 1935, la résistance passive des paysans est atténuée par le "lopin individuel"].
[13] p.196-97 : "En Pologne, il n'y a pas la dictature du prolétariat et vous n'en avez pas besoin" [..] Et aux dirigeants communistes bulgares : il est possible de "réaliser le socialisme d'une nouvelle façon, sans la dictature du prolétariat" ; "la situation a changé de façon radicale par rapport à notre révolution, il faut appliquer des méthodes et des formes différentes..", etc. Voir Roberts G. (Stalin's wars. From World War to Cold war 1939-1953, 2006), p.296, p.231
[14] [NB Certes, par tous les moyens, cf. procès Slansky et Rajk]
[15] p.196 Intervention de Trotski "Où la bureaucratie stalinienne conduit-elle le pays?" (30 janvier 1935), dont les seules citations, p.207 célèbrent les résultats de l'effort des année 30, en matière d'industrie, d'éducation et de changements de la société.
[16] En 1933, les déportés sur l'île de Nazino (Sibérie) se retrouvent isolés, sans abris, ni outils, nourriture, médicaments, etc. et meurent presque tous après des scènes de cannibalisme. Le récit bouleversa tous les membres du Politburo.
[17] Ainsi que les Eglises. Le Vatican eut son Concordat en 1933 avant divers accords avec les Eglises protestantes. En outre, les sionistes réussirent à négocier l'émigration de 20 000 juifs en Palestine en 1935.
[18] Hitler déclare au Haut Commissaire de la Société des Nations à Dantzig: "Tout ce que j'entreprends est tourné contre la Russie. Si l'Occident est trop stupide et aveugle pour le comprendre, je serai obligé d'en arriver à une entente avec les Russes et à vaincre ensuite l'Occident, de façon à ce qu'après sa défaite, je puisse me retourner contre l'Union soviétique avec toutes les forces que j'aurais réunies." (cité par Nolte Der europäische Bürgerkrieg 1917-1945, 1987, date de la citation?)
[19] Plus important aux yeux de Losurdo fut le blocus naval imposé par l'Angleterre à l'Allemagne, pendant le premier conflit mondial et après l'armistice, blocus qui "essaya de façon explicite de réduire à l'inanition toute la population : hommes, femmes et enfants, vieux et jeunes, blessés et personnes saines, et de l'obliger ainsi à la capitulation." afin qu'ils acceptent "les conditions de paix des vainqueurs." (Churchill, cité par Baker "Human smoke..", 2008). Hitler (parmi d'autres) en tira la conclusion la plus logique. L'Allemagne, n'étant pas maîtresse des mers et n'ayant pas d'empire colonial, devait trouver son espace de colonisation ("espace vital") sur le continent, à l'Est.
[20] Le complot des médecins juifs qui auraient voulu attenter à la vie de Staline est ramené par Losurdo à de plus justes proportions : (1) il est évident que les services secrets occidentaux ont essayé plusieurs fois d'assassiner Staline, (2) "l'erreur médicale" avait déjà été utilisée auparavant pour éliminer des chefs d'Etat, (3) Staline avait accepté des médecins juifs pour leur compétence et c'était, au départ, une preuve de confiance, (4) il semble que les accusations aient été abandonnées à la fin sur son ordre.
[21] Les époux Rosenberg furent accusés d'espionnage atomique au profit de l'URSS et exécutés après avoir réfuté de dénoncer l'antisémitisme en URSS. Làslo Rajk, puis Rudolf Slànsky (tous deux militants communistes historiques dans leurs pays) et leurs coinculpés ont été condamnés et exécutés pour "titisme" afin de faire un exemple destiné à prévenir toute velléité d'indépendance des pays "socialistes" vis-à-vis de Moscou. Il est possible que des dénonciations fictives de la CIA ou d'agents israéliens, liées au problème de l'émigration juive, soient intervenues.
[22] En 1973, les Juifs, qui étaient 0,9% de la population soviétique, représentaient 1,9% des étudiants d'université, 6,1% du personnel scientifique et 8,8% de tous les chercheurs.
[23] Le rapport Krouchtchev (1956) fut communiqué par le Mossad à la CIA qui le publia.
[24] "Les transformations de la démocratie", 1920.
[25] A Taejon, en juillet 1950, dix-sept cents Coréen, accusés d'être communistes, furent passés par les armes et leurs corps laissés sans sépulture à l'écart de la ville. Cette "épuration" fut menée aussi bien sur les réfugiés que dans les villes conquises ou reconquises, et moins discrètement que les assassinats de Katyn. Il semble également que les familles de ceux qui étaient tués parce que suspectés d'être communistes aient été également liquidées.
[26] Et fit périr presqu'un quart de la population russe..
[27] Comme les "révélations" et les "secrets du Kremlin" de l'ex-général Orlov selon lesquelles, Staline aurait été, à ses débuts, un agent de la police secrète tsariste.
[28] Voir Payne MJ, Stalin's railroad. Turksib and the building of socialism, 2001
[29] Citation de Ginzburg R, "100 years of lynchings" (Black Classic Press, Baltimore, 1988) : "Pour commencer ils lui tranchèrent le pénis et l'obligèrent à le manger. Puis ils tranchèrent ses testicules et l'obligèrent à les manger et à dire que ça lui plaisait.
Ensuite, avec des couteaux, ils taillèrent en tranches les flancs et l'estomac et quiconque, parfois l'un parfois l'autre, pouvait emporter un doigt des mains ou des pieds. Des fers rougis au feu furent utilisés pour brûler le nègre de pied en cap. Pendant la torture, de temps en temps, une corde était attachée autour du cou de Neal, jeté du podium jusqu'à en être presque étranglé ; puis la torture recommençait du début. Après plusieurs heures de cette punition, ils décidèrent de le tuer.
Le corps de Neal fut attaché par une corde à l'arrière d'une voiture et traîné sur la route jusqu'à la maison de Cannidy. Une foule excitée, entre 3000 et 7000 personnes, provenant de divers Etats du Sud, attendait son arrivée. [Le divertissement sur le cadavre se termine par la vente de photographies] à cinquante cents pièce."
[30] James Bacque, "Der geplante Tod : Deutsche Kriegsgefangene in amerikanischen und franzözichen Lagern, 1945-1946", 2008 (Traduction de "Other losses", 1989, où Bacque accuse les Américains et marginalement les Français d'avoir fait mourir de faim envion 800 000 soldats allemands dans leurs camps de prisonniers). Cet ouvrage a suscité la polémique et Bacque, écrivain canadien, a été accusé de révisionnisme car ses chiffres paraissent beaucoup trop élevés et leurs sources peu fiables. (Losurdo aurait dû le citer de façon critique, d'autant plus que Bacque, dans un ouvrage ultérieur accuse l'Armée Rouge d'avoir fait bien pire). Cependant, les historiens d'Eisenhower, qui paraissent dignes de foi, admettent que, dans les tout premiers temps, les prisonniers de guerre de la Wehrmacht ont été très maltraités et que la plupart des blessés et des malades en sont morts, ce qui est une honte pour une croisade occidentale contre la barbarie nazie.
[31] Cet événement dramatique fut très bien raconté (quoique d'une manière déplaisante pour tout le monde) par Curzio Malaparte dans "Technique du coup d'Etat" (1931 en français).

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