Domenico Losurdo — Staline. Histoire et critique d'une légende
noire. Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio. Bruxelles, Aden, 2011
Par Jean-Claude Lecas
Résumé
Le livre de Domenico Losurdo, "Staline.
Histoire et critique d'une légende noire" (Bruxelles, Aden, 2011) s'inscrit, espérons-le, dans le
retournement de la sinistre tendance faisant du "totalitarisme", du
Goulag et de l'équivalence Hitler-Staline, l'argument massue de la doxa libérale visant à criminaliser le
communisme et tout espoir de réforme sociale. L'auteur remarque qu'à sa mort
(1953), Staline fut pleuré comme un dieu partout dans le monde, tandis que,
trois ans plus tard, le rapport Krouchtchev en faisait un monstre. Les deux
sont forcément faux et, si l'on veut comprendre, il faut tout examiner avec
l'œil de l'historien. Ainsi, dans le contexte dramatique de la Russie d'après
la révolution et la guerre civile, les "crimes" de Staline
apparaissent très relatifs. Sa dictature totale n'apparaît qu'après les procès
de Moscou et l'hystérique chasse aux espions et saboteurs qui suivit (la Grande
Terreur de 1937-38) des réponses terribles, mais toujours pragmatiques, à une
situation de chaos et de guerre civile plus ou moins permanente. Après la
collectivisation désastreuse de l'agriculture, condition de l'industrialisation
du pays, Staline et son groupe tentent désespérément de rétablir l'autorité du
gouvernement et d'accélérer l'industrialisation, tandis que se précise la
menace mortelle du nazisme. L'ouvrage montre que le "stalinisme" est
né de ces situations d'exception et à quel point l'amalgame Hitler-Staline (à
laquelle contribue la fable de l'antisémitisme stalinien) occulte opportunément
les véritables origines du nazisme. Celui-ci combine la doctrine pangermaniste
avec les théories raciales et nationalistes contemporaines de l'expansion
coloniale occidentale. L'objectif des nazis est de conquérir, sur les terres
slaves, un vaste empire colonial germanique sur les ruines de l'URSS, dirigée
par les "judéo-bolchéviques" inspirés par les théories du Juif Marx.
Leur croisade anticommuniste leur assure l'appui des puissances occidentales.
Rien de commun avec le despotisme stalinien, purement défensif et qui n'a cessé
de promouvoir les nationalités de l'URSS. Enfin Losurdo en prenant parti pour
Staline contre Trotski examine un problème majeur : celui de l'Etat socialiste.
Selon Trotski, l'URSS, au départ faible et menacée, ne peut survivre sans
l'appui des masses prolétariennes dans les pays capitalistes développés. De
plus, la construction du socialisme doit amener le dépérissement de l'Etat.
Pour Staline, ces principes ne sont pas réalistes dans le contexte de l'époque
et un Etat fort, capable d'assurer l'éducation, l'industrialisation et les
droits sociaux est d'abord une condition
de la survie.
C'est un gros livre qui paraît de prime abord assez partial dans ce que
l'on perçoit comme une sorte de réhabilitation de Staline. Tel n'est cependant
pas réellement le sujet de l'ouvrage qui se termine par une réflexion critique
et une idée forte : la dérive contemporaine vers une "tératologie
politique" (fabrique de monstres) qui obscurcit le contexte des événements
historiques et mystifie le citoyen. On peut toutefois regretter que cette
réflexion soit seulement amenée à la fin - en guise de conclusion - d'un texte
composé de huit chapitres et d'un préambule, bourré d'informations utiles et
peu connues, mais il est vrai, quelquefois un peu répétitif.
Argument de départ : Staline était un dieu en 1950, il devient un monstre après le
rapport secret de Krouchtchev (1956). Les deux sont forcément faux et, si l'on
veut comprendre, il faut tout examiner. Le ton général est celui de
l'admiration plus que de la réhabilitation. La querelle fondamentale
Trotski-Staline est traitée en détail, avec des arguments forts, mais qui
donnent plus ou moins explicitement raison à Staline. Celui-ci a compris
l'importance du fait national et la nécessité absolue de défendre et de renforcer
l'URSS environnée d'ennemis pour que le socialisme ait une chance de l'emporter
ensuite. Trotski et ses partisans, qui se considéraient comme les seuls vrais
révolutionnaires, y voyaient une trahison de l'esprit d'Octobre avec la
reconstitution d'une classe bureaucratique. Eux voulaient faire de l'URSS un
moyen de propager la révolution dans le monde en appuyant les mouvements
prolétariens dans les pays plus développés. Forts de la théorie marxiste qui
implique, à terme, dépérissement de l'Etat, égalitarisme absolu et suppression
de la monnaie et de la marchandise, ils dénonçaient le révisionnisme de Staline.
Il s'ensuivit une guerre civile larvée au sein du PCUS, à base de complots, de
double langage et d'attentats qui sera l'une des causes des Grandes Purges de
1937-38. D'une manière générale, Losurdo présente Staline comme un communiste
authentique, mais surtout réaliste et pragmatique. Ses "crimes" sont
très relatifs, étant donné la barbarie de l'époque, l'ampleur des problèmes et
le caractère radical des oppositions qu'il a affrontées. Il a maintenu la barre
fermement au moment où l'URSS allait imploser et il a gagné la guerre contre
les nazis. Au prix de millions de morts.
Mais pouvait-il faire autrement?..
Principe du plan : Après le préambule qui expose l'argument, les quatre premiers
chapitres sont, en principe, des chapitres d'histoire de la Révolution et le
l'URSS jusqu'à la mort de Staline, avec des incursions dans l'histoire russe
antérieure et dans celle de la guerre froide. Les quatre chapitres suivants
sont consacrés aux éléments et à la signification de la "légende
noire" de Staline : l'antisémitisme, la morale et la politique, la
mythologisation de l'histoire et l'utilisation des principes de diabolisation
et d'hagiographie dans le monde contemporain. Malheureusement, Losurdo ne suit
pas vraiment son plan et revient répétitivement sur les mêmes périodes et les
mêmes événements.
En
résumé, il s'agit d'un livre fort utile qui s'inscrit, espérons-le, dans le retournement de la sinistre
tendance "anti-totalitaire" (le Goulag, Hitler = Staline, etc.)
visant à criminaliser le communisme et tout espoir de réforme sociale. Staline
et le stalinisme sont des phénomènes historiques et leur étude rigoureuse n'a
rien de commun avec cette doxa
libérale.
Le "Préambule",
intitulé "Le tournant dans
l'histoire de l'image de Staline" [p.11] rappelle
d'abord, citations à l'appui, la consternation générale, les deuils collectifs
et l'immense émotion à la mort de Staline. Non seulement à Moscou ou dans les
petits villages russes, mais aussi "dans
les rues de Budapest et de Prague, des gens pleuraient". Non seulement
les partis et les sympathisants communistes, mais des hommes d'Etat du camp
opposé se répandirent en hommages appuyés. Churchill lui-même, le stratège
anti-communiste[1], l'avait
salué comme "Staline le Grand", digne héritier de Pierre Grand. Ici, Losurdo cite les louanges de
l'ambassadeur américain Harriman, du leader travailliste Harold Laski, d'Alcide
de Gasperi et même de Benedetto Croce qui parlait d'un "génie
politique" faisant du "soviétisme" un progrès de liberté par
rapport au régime tsariste. Beatrice Webb, collègue de Laski, parlait du
pionnier d'une "nouvelle civilisation" émergeant de la "Russie
barbare", malgré un état de siège plus ou moins permanent. Même H. Arendt
avant son livre sur le totalitarisme avait salué l'action de Staline organisant
l'effort commun de 160 nationalités, tandis que Thomas Mann avait par avance
refusé l'assimilation du nazisme et du communisme à travers le concept de
totalitarisme car ce rapprochement était foncièrement anticommuniste et
l'anticommunisme était d'essence fasciste. En Israël, "lorsque parvint la nouvelle de la mort de
Staline tous les membres du Mapam, sans exception, pleurèrent" et ce
sentiment était répandu dans l'armée et l'appareil d'Etat. L'historien Isaac
Deutscher écrivit : "il a trouvé la
Russie qui travaillait la terre avec des charrues de bois et il la laisse
propriétaire de la pile atomique. Il a élevé la Russie au rang de seconde
puissance mondiale", un résultat qui n'est pas dû seulement à
l'industrie et à la puissance militaire mais bien plus à la généralisation de
l'instruction et de la culture. Les sarcasmes de Trotski à l'égard de Staline
(petit provincial, traître à la révolution mondiale) étaient bien oubliés. Pour
Alexandre Kojève, Staline incarnait "l'esprit hégélien du monde"
agissant avec sagesse et tyrannie.
Quel contraste avec la situation crée par le rapport Krouchtchev en
1956! Ce fut un coup de tonnerre car, jusque-là et malgré neuf ans de Guerre
froide, Staline et son œuvre étaient encore respectés.
En URSS, ce rapport vise à légitimer les hommes au pouvoir (en
évinçant, après Béria, les anciens compagnons de Staline, Molotov, Malenkov,
Kaganovitch, etc). En Occident, ce fut du pain béni pour les
"soviétologues", installés et contrôlés par la CIA dans le cadre d'un
embrigadement étroit des historiens à partir de 1947 (la "pluralité d'objectifs et de valeurs"
n'était plus autorisée à l'American
Historical Association, selon son président - voir Cohen, 1986). L'idée de
la "déstalinisation" permettait d'appuyer Tito contre Moscou et de
l'adosser au "pacte balkanique" (Turquie, Grèce) tout en soutenant la
Chine contre l'URSS qui était le principal ennemi. Trotski fut paradoxalement absous
et commença une carrière de victime, lui qui jusque-là incarnait "l'assassin bolchévique de masse"
(Spengler). Désormais Staline représentait seul l'infamie communiste.
Krouchtchev l'avait présenté comme un petit dictateur pathologiquement
sanguinaire, vaniteux et intellectuellement médiocre. Le dénigrement de Staline
permettait aux anticommunistes et atlantistes de la Guerre froide de célébrer
la supériorité morale et intellectuelle du "monde libre". Mais les
marxistes se dédouanaient à bon compte de ce qui les inquiétait en URSS : le
renforcement (et non le dépérissement) de l'Etat, la permanence de la monnaie,
etc.. C'était la faute à Staline et au "stalinisme"! Les partisans de
Trotski reprirent les textes de ce dernier dénonçant la dictature totalitaire, stalinienne ou fasciste, et
l'équivalence HitlerStaline commença une belle carrière.
Losurdo refuse toutes ces mythologies et va rechercher dans différents
pays et régimes les "caractéristiques" supposées du stalinisme
(personnalisation du pouvoir, paranoïa des dirigeants, exécutions de masse,
univers concentrationnaire, déportations, etc..). Il va les trouver en
abondance.
Le 1er
Chapitre,
est intitulé "Comment précipiter un
dieu en enfer, le Rapport Krouchtchev[2]. [p.27] A peine trois ans après les grandioses manifestations de
deuil, ce rapport fit de Staline, selon l'expression d'Isaac Deutchser, "un énorme monstre humain, sombre, capricieux
et dégénéré". Losurdo inventorie les falsifications de Krouchtchev
(qui ont fait florès en Occident) : (1) Staline a fait assassiner son ami Kirov
pour pouvoir en accuser ses principaux opposants (réels ou supposés) et les
liquider les uns après les autres, (2) il a déporté en masse des populations
entières sous les accusations les plus arbitraires, (3) la Grande Guerre
patriotique a été gagnée non pas grâce à, mais contre Staline qui avait placé
une confiance aveugle dans Hitler et laissé l'Armée Rouge dans un état
d'impréparation tragique, (4) après avoir négligé les avertissements provenant
de diverses sources, il s'était abandonné au découragement et à l'apathie aux
premiers désastres et ne serait revenu à son poste qu'en raison de l'insistance
du bureau politique, (5) c'était un dictateur incompétent, incapable de diriger
les opérations militaires (il établissait la ligne de front avec un globe
terrestre). Losurdo trace un parallèle avec les accusations de Trotski, dans
les années trente : Staline y était affecté d'une irrémédiable médiocrité et
lourdeur paysanne, il aurait précipité la mort de Lénine. En septembre 1939,
Trotski le taxait, lui et ses compères, de la plus grande incapacité à conduire
une guerre.
Losurdo réfute toutes ces inventions. D'abord, sur la Grande Guerre patriotique. (a)
La production industrielle augmente en flèche avant 1941 et particulièrement
celle des matériels militaires et des chars du dernier modèle qui passe de 358
unités en 1940 à 1503 au premier semestre 1941, année de l'invasion. A cette
date, l'armée dispose de 2700 avions modernes et de 4300 chars ; neuf nouvelles
usines de production d'avions ont été construites depuis 1939, etc.. (b) Quant
au mythe de l'effondrement de Staline, il a été réfuté par A. Knight (1997)
dans son livre sur Beria, qu'appuie d'autres témoignages, dont celui de
Dimitrov. Le jour de l'invasion, à partir de 11h, commencèrent des séries
ininterrompues de réunions pour organiser la résistance et lui donner un cadre
politique. A l'agression fasciste visant à l'asservissement des races présumées
serviles d'Europe orientale, devaient répondre des guerres de résistance et de
libération nationale soutenues par l'internationalisme conscient des partis
communistes européens, mais la question du communisme n'était pas à l'ordre du
jour. (c) Quant à la surprise provoquée par l'invasion, il faut dire que les
informations n'étaient pas concordantes car les nazis avaient maintenu
l'ambiguïté sur leurs intentions. Y contribua l'affaire Rudolf Hess qui aurait
tenté (d'accord avec Hitler) de négocier une paix séparée avec l'Angleterre,
avant l'attaque de la Russie, afin de libérer l'Allemagne d'une guerre sur deux
fronts. Le fait est qu'entre mai et juin l'URSS mobilise 800 000 réservistes et
déploie 28 divisions à l'ouest [NB c'est peu]. (d) La foudroyante avancée de la
Wehrmacht s'explique très bien par les données objectives : d'une part,
l'immensité russe (près de 2900 kms de front) qui permet toujours aux
envahisseurs de passer quelque part (puisqu'ils ont l'initiative, ils
concentrent leurs forces sur les zones les moins défendues) et d'autre part le
refus légitime d'envoyer toute l'Armée Rouge aux frontières, où elle aurait été
détruite (comme l'armée française en 1940). (e) L'échec de la guerre-éclair de
Hitler (échec des raids aériens sur Moscou, bataille de retardement de
Smolensk) et l'utilisation défensive de l'espace russe prévu depuis longtemps
avec l'industrialisation de l'Oural, de la Sibérie et du Kazakhstan. Pendant
l'invasion, le nouveau Conseil de
l'évacuation parvint à déménager 1500 grandes usines. L'arrogance des
Allemands est révélée par deux commentaires d'Hitler (pp. 47-48) : "Comment est-il possible qu'un peuple aussi
primitif puisse atteindre de tels résultats techniques en si peu de temps?"
(29 nov. 1941), ou encore : "Staline
a élevé le niveau de vie. Le peuple russe ne souffrait pas de la faim...
[des usines importantes] ont été
construites là où jusqu'il y a deux ans n'existaient que des villages inconnus.
Nous trouvions des lignes de chemin de fer qui n'étaient pas indiquées sur les
cartes" (26 août 1942). En fait, pour G. Roberts ("Stalin's wars, 2006) qui fait autorité
en la matière, Staline était un "grand
stratège", "le premier vrai
stratège du XXe siècle", attentif aux opérations militaires en même temps qu'aux aspects
politiques et logistiques de l'économie de guerre (et jusqu'aux petits détails,
que les soldats ne manquent pas de cigarettes). Cette section se termine par
une intéressante citation de Goebbels avouant l'échec de l'espionnage allemand
qui ne réussit jamais à pénétrer en URSS.. "Exactement le contraire de ce qui s'est passé en France où nous savions
pratiquement tout.." [NB Bien sûr, grâce aux multiples connivences
évoquée par Annie Lacroix-Riz!]. Ensuite sur les déportations (section moins convaincante), Losurdo rappelle
l'estime dont jouissait Staline pour son essai sur les nationalités de 1913 (?)
et passe en revue les déplacements forcés de populations au XXe siècles (celles
commandées par Staline ne furent ni plus importantes, ni moins motivées sur le
plan de la sécurité que les autres). Un million de Juifs et d'Allemands déplacés
dans l'Empire russe au début de la 1e Guerre Mondiale. Les USA des
années 1930 expulsèrent les Mexicains à grande échelle. Après la 2e
Guerre Mondiale : 12 millions d'Allemands furent déplacés en raison des
nouvelles frontières, et souvent protégés de l'hostilité des Tchèques et des
Polonais par les troupes soviétiques, déplacement des Pakistanais, etc. Et enfin, sur le culte de la
personnalité
(également moins convaincant), Losurdo prétend que ce n'était pas une
déformation pathologique de la personnalité de Staline. Le président Wilson, à
l'entrée en guerre des USA en 1917, fut l'objet d'un véritable culte.
Boukharine, qui en fut témoin, estime que les démocraties se mettent à
ressembler à des dictatures quand elles entrent en guerre. De même pour
Roosevelt (personnalité exceptionnelle, 4 mandats) qu'on accusa d'être un
dictateur et qui fit interner les citoyens d'origine japonaise. Kérenski se
dresse en petit Napoléon russe avant son offensive ratée d'août 1917. Quant à
Staline, il n'était pas systématiquement adepte de son propre culte et, lorsque
celui-ci ne servait à rien, il était plutôt modeste et refusait honneurs et
distinctions (étoiles, "héros de l'URSS", arrivée discrète à la
conférence de Potsdam). En fait, il appréciait la franchise et les
raisonnements sensés (même contradictoires) et détestait la flagornerie.
Le Chapitre 2 , intitulé "Les bolchéviques, du conflit idéologique à
la guerre civile" [p.65], développe le thème
"saturnien" de la Révolution qui dévore ses enfants dans une évocation
chronologique des courants d'opposition à Staline.
Depuis le début, le parti bolchevique fut profondément divisé sur la
question des relations entre fait national (et étatisme) et révolution
mondiale. Priorité au renforcement de l'URSS comme Etat, pour protéger les
acquis de la Révolution, ou priorité à l'internationalisme, à l'égalitarisme, à la suppression des
rapports et de la culture capitalistes : famille, propriété, monnaie, etc.. La
personnalité charismatique de Lénine réussit à maintenir la contradiction dans
des limites supportables jusqu'à la fin de la guerre civile et au début de la
NEP. Mais ensuite, l'ampleur des problèmes liés à la collectivisation de
l'agriculture, à l'industrialisation et à la situation internationale poussa
les conflits à leur paroxysme (chaque camp accusant l'autre de "trahir la
Révolution"). Jusqu'à une véritable guerre civile interne au PCUS
débouchant sur les Grandes Purges de 1937-38.
(p.66-72) L'idéalisme révolutionnaire était motivé par le dégoût pour
cet immense crime de masse du capitalisme qu'était la Grande Guerre[3]
et l'exigence d'un monde nouveau. Cet idéalisme s'est manifesté dans le refus
de la "paix corde au cou" à Brest-Litovsk (fév. 1918) de la part de
Trotski, Boukharine, Djerzinski, etc. (contre Lénine et Staline) et dans
l'attente d'un incendie révolutionnaire européen. A l'époque, qui est également
celle de la guerre civile russe, on voit
passer d'éphémères "Républiques libres" de paysans ou de déserteurs,
de multiples revendications anarchistes, et la révolte des marins de Kronstadt
au printemps 1921. Celle-ci est écrasée par Trotski qui est pris à parti comme
le champion de l'organisation bureaucratique. Ces revendications gauchistes et
illusoires paraissent vite "monstrueuses" à Lénine qui, pourtant, au
1er Congrès de la 3e Internationale (fév. 1919), s'était
dit certain de la victoire de la révolution mondiale (Allemagne, Hongrie,
Italie). Mais la guerre civile russe se déchaîne en 1919 et malgré ses
victoires en Russie, l'Armée Rouge échoue finalement devant Varsovie (août
1920), ce qui entérine le reflux de la révolution européenne. C'était l'issue
prévue par Staline, qui était particulièrement sensible, depuis son essai de
1913, au fait et au sentiment national. (p.73) Pour lui, l'enjeu de la guerre
civile, avait été l'intégrité et l'indépendance de la Russie[4].
Il s'agissait d'une lutte nationale qui pouvait affaiblir l'impérialisme, mais
non pas exporter la révolution : "L'exportation
de la révolution est une sornette. Chaque pays peut faire la révolution s'il le
désire, mais s'il ne veut pas, il n'y aura pas de révolution.." [5]
(p.75). Trotski, scandalisé, attaque la théorie du "socialisme dans un
seul pays" et durcit son opposition à Staline.
(p.77) Sur l'idéalisme révolutionnaire, la critique de la NEP
("Nouvelle Extorsion du Prolétariat") et les rapports mercantiles.
(p.78-79) Pierre Pascal (catholique fr.) et Ernst Bloch appellent la
suppression de l'argent. (p.80) Problème théorique : la différence entre
"satisfaction des besoins" et "partage égal" (Hegel) que
Marx résout (partiellement) en donnant la priorité à la suppression des classes
et en reportant l'égalitarisme à une date ultérieure[6].
(p.88) La discussion se porte sur l'égalité des femmes, la liberté sexuelle et
la famille. Les idéalistes (Kollontaï) veulent supprimer la famille car elle va
de pair avec la propriété et l'héritage. (p.90) Trotski ironise sur "la famille [qui] renaît comme s'affirme à nouveau le rôle éducatif du rouble."
et attaque (p.91) la réglementation inutile sur la famille, mariage, divorce,
avortement, etc. Sur l'Etat : l'idée de diminuer l'Etat pose de multiples
problèmes puisqu'on veut nationaliser l'économie, qu'on veut une armée et un
système d'éducation. (p.94) Critique de Pannekoek. (p.95) Ernst Bloch veut convertir
"le pouvoir en amour". Ces problèmes sont évoqués dans les droits du
citoyen et la manière de les garantir (p.97) dans la Constitution de 1936
(promulguée au moment des grandes purges [surréaliste!] et jamais appliquée
intégralement). (p.98-99) On sait maintenant que Staline n'est pour rien dans
l'assassinat de Kirov (Kirilina, 1995, collection Courtois!). Il y eut d'abord
une enquête chez les Gardes Blancs, à l'étranger, puis dans l'Opposition de
gauche. (p.100-104) Trotski justifie le "terrorisme individuel de la
jeunesse" contre la classe bureaucratique stalinienne et manifeste sa
haine de Kirov et de Staline. [...] (p.119-127) Les manœuvres et espoirs de Trotski pour faire
tomber Staline par la défaite dans une guerre avec Hitler (ce qui n'est pas
cohérent avec son alarme du danger hitlérien en 1933). (p.127-133) Le complot
de Toukhatchevski. (p.133-135) Conclusion : "Trois guerres
civiles" successives, (1) la guerre civile contre les Blancs aidés des
puissances impérialistes, (2) la guerre civile des "koulaks" et de la
collectivisation, et (3) la guerre civile, dans le PCUS, entre
"l'Opposition de gauche", les partisans de Trotski et de la pureté
révolutionnaire et les défenseurs de l'Etat partisans de Staline.
Le Chapitre 3, "Entre XXe siècle et longue durée, entre
histoire du marxisme et histoire de la Russie : les origines du “stalinisme” "
[p.137], rappelle d'abord l'hyper-violence qui accompagne la révolution
menchévique de février 17, lorsque l'armée se décompose et que les paysans
soldats déserteurs massacrent et torturent leurs officiers (détails horribles),
un carnage qui sanctionne les siècles de servage et de mépris du peuple. La
reconstruction de l'Etat est entreprise par les bolchéviques qui sont pourtant
partisans de son abolition finale. Pendant la guerre civile : massacres de
juifs et de bolchéviques par les Blancs (et les paysans) mais le pouvoir
charismatique de Lénine l'emporte et engage la NEP. Après sa mort, Staline
incarne l'édification laborieuse du nouvel Etat, tandis que Trotski, dont le
prestige est immense, veut être le nouveau leader charismatique (p.150-151). Ce
sont "deux programmes politiques" et "deux légitimités"
différentes qui s'affrontent[7].
Ici, une intéressante remarque de sociologie du pouvoir. Les propriétaires connaissent
bien la politique depuis toujours. C'était le cas des dirigeants des Etats-Unis
durant la 1e trentaine d'années après l'Indépendance, qui étaient
tous des propriétaires d'esclaves. Les intellectuels non propriétaires, épris
d'universalisme (par ex. sur l'abolition de l'esclavage) doivent apprendre la politique. (p.153-156) les
critiques de Kautsky rejoignent celles de Trotski : les bolcheviques n'ont
fait, jusque-là, qu'abolir différentes formes de propriété, pas le capitalisme.
Il prétend qu'en raison de l'immaturité des conditions de la révolution
(féodalisme, pays arriéré), les bolchéviques sont condamnés à la violence.
(p.156-157) Contre Staline se dresse le front large de l'utopie et de la vision
messianique d'une nouvelle société. Trotski critique le
"social-patriotisme" de Staline. Le credo de ce dernier p. 161 (haut)
est résumé par Losurdo : "le
nihilisme national est plus que jamais insensé, la cause de la révolution est
en même temps la cause de la nation", citation à l'appui[8].
La tâche la plus urgente, c'est l'industrialisation. Echos chez Mao
(l'internationalisme doit être lié étroitement à la "forme
nationale") et chez Gramsci qui distingue "cosmopolitisme" et
"internationalisme" (p.162).
(p.170) Staline n'est pas d'accord avec R. Luxembourg sur le problème
des nationalités. Pour celle-ci, la révolution doit être démocratique, mais le
séparatisme des (petits) peuples "sans histoire" doit être réprimé.
(p.171) Même différence si l'on compare Staline et Kautsky qui prédit la disparition
des (petites) nations; Staline objecte l'échec des "russificateurs"
ou "germanisateurs" de la Pologne. (p.172) Boukharine devient adepte
de l'économie mixte et en revient de "l'universalisme abstrait" qu'il
avait adopté au temps de Brest-Litovsk : il a appris. (p.174-178) Une question
théorique curieuse et qui pose de nouveaux problèmes : les langues nationales
subsisteront-elles sous le communisme? L'orthodoxie répond "non", il
n'y aura plus qu'une seule langue, puisque les nations finiront par fusionner après
l'élimination des antagonismes de classe. Mais Staline, convaincu de la
solidité du fait national, répond "oui" contre l'orthodoxie. Car la
langue n'est pas une "superstructure" ni un fait de classe et elle
cimente les nations. Ce type de problème a été ignoré et a joué un rôle dans la
crise finale du "camp socialiste". (p.178) Par ailleurs, pour
Staline, "production marchande" n'est pas l'équivalent de
"capitalisme" et il faut se garder des simplifications[9].
Enfin, la querelle avec Trotski implique la question de l'Etat qui, selon Marx
(et Lénine) doit disparaître après l'abolition des classes puisqu'il est l'instrument
d'oppression de la classe dominante[10]. Losurdo conclut à partir du rôle organisateur (la "troisième
fonction") de l'Etat, que Staline, avant tout réaliste et ayant gouverné
plus longtemps que quiconque, "s'est
aperçu de la vacuité de l'attente messianique de la disparition de l'Etat, des
nations, de la religion, du marché, de l'argent".
Dans le Chapitre 4, "Le cours complexe et contradictoire de l'ère
stalinienne", [p.181] Losurdo met l'accent sur
l'impact des événements extérieurs sur l'évolution du PCUS dans les années 20
et 30 : (p.181): .."né alors que
personne ne peut prévoir l'avènement de Staline au pouvoir et avant même la
révolution des bolchéviques, le "stalinisme" n'a résulté en premier
lieu ni de la soif de pouvoir d'un individu ni d'une idéologie, mais bien de
l'état d'exception permanent qui s'empare de la Russie à partir de 1914."
Ce que confirme Tucker, p.182, ("Stalin in power, the Revolution from
above, 1928-1941", 1990), "Aux débuts des années trente, Staline
n'était pas encore un autocrate. Il n'était pas exonéré de devoir se mesurer à
la critique, au désaccord et à la véritable opposition dans le cadre du parti
communiste." C'est le pouvoir "oligarchique" léniniste, la
"dictature du parti", animés par la discussion permanente des
dirigeants et ce n'est qu'à partir du déchaînement de la Grande Terreur (1937)
que ce pouvoir devient autocratique. Losurdo retrace le processus. Pendant la
NEP et le duumvirat
Boukharine-Staline (par ex. 1925), il est question de réactiver les soviets, de
développer des "normes légales", la "persuasion" et non la
terreur qui "appartient désormais
au passé". On insiste sur la compétence et la stratégie du développement
économique est encore en discussion. Pour Staline (Gensek), l'appareil d'Etat doit être lié aux masses par de
multiples associations et par les soviets, une ligne raillée par Zinoviev.
Cependant, le traité de Locarno, entre l'Allemagne et les Alliés européens,
réduit les antagonismes inter-impérialistes et l'on reparle d'une
"croisade contre le communisme" (AJP Taylor, Les origines de la IIe GM, 1996). Ensuite, Pilsudski (ennemi de
l'URSS) prend le pouvoir en Pologne (1926) et pratique une stratégie de la
tension (assassinat de l'ambassadeur soviétique à Varsovie). Toukhatchevski
réclame une modernisation rapide de l'armée (p.187). Outre qu'elle heurte
l'esprit égalitariste des vieux bolchéviques hostiles à l'échelle des
rémunérations et des "privilèges", la NEP ne suffit plus à un
développement économique accéléré. Staline (discours du 19 nov. 1928) déclare
que les dirigeants de l'URSS sont “angoissés
par la question de savoir comment défendre "l'indépendance" d'un pays
nettement plus arriéré que les puissances ennemies qui l'entourent” (p.187).
La chose devient claire en 1929, avec la "crise des céréales" (diminution de l'approvisionnement des
villes) qui précipite la rupture avec Boukharine. Ce dernier reprend la ligne
de Trotski et préconise une stratégie internationaliste (l'URSS doit être
soutenue par le prolétariat des pays capitalistes), au pire moment de
l'antagonisme Trotski-Staline[11].
Au contraire, Staline estime que le monde impérialiste est stabilisé (NB malgré
la crise de 1929?) et que la défense de l'URSS passe par des alliances d'Etats
à Etats, l'industrialisation à marche forcée et la réforme de l'agriculture qui
sont devenues ultra prioritaires. Effectivement, les résultats du premier plan
quinquennal (1928-1932) sont stupéfiants, la production industrielle est accrue
de 250% et les dépenses militaires sont multipliées par cinq entre 1929 et 1940
(Mayer, "The furies..",
2000). Mais la collectivisation, la suppression des koulaks sont
catastrophiques[12]. Losurdo
parle peu de cette période terrible, sinon pour évoquer les tentatives
récurrentes de Staline pour revenir à une situation "normale". Pour
montrer la largeur de vues de Staline, Losurdo souligne qu'en 1945-46, il avait
annoncé que les pays devenus ensuite "satellites" pourraient choisir
leur voie vers le socialisme sans dictature du prolétariat[13]
Un projet malheureusement avorté par le déclenchement de la Guerre froide et
l'explosion de la bombe H américaine - une arme de guerre totale dirigée contre
le communisme - (p.196-99) qui obligea à serrer les rangs[14].
Losurdo évoque ensuite Kirov [assassiné en 1934, par un jeune exalté de
l'Opposition de gauche] pour célébrer le dévouement des dirigeants des années
30 (Staline, Kaganovitch), leur boulimie de travail (p.201) et les résultats de
leur action. D'un côté
les horreurs de la collectivisation forcée qui poussent un haut responsable
militaire au suicide et provoque une crise morale chez Boukharine. D'un autre, une énorme "promotion sociale par le haut" et les débuts d'un
"solide système de protection sociale" (p.202-207). De sorte que même
pendant la Grande Terreur, Staline ne perdit jamais l'adhésion populaire
(p.208), ce que même Trotski dut reconnaître implicitement[15].
A la section suivante (p.209-35), le Goulag n'était pas ce que vous croyez!.. Surtout
en le comparant aux autres univers concentrationnaires. Losurdo fait d'abord
appel à des descriptions d'auteurs "fièrement
anticommuniste(s)" comme Applebaum (Gulag, a history, 2003) qui racontent qu'il existait aussi des conditions de détention
humaines (promenades, théâtres ou cinéma, bibliothèques, cogestion, tolérances
religieuses, etc.). Avec, toutefois, l'obsession productiviste du travail, les
"bons prisonniers" étant ceux qui font exploser les normes, avec
éventuelles gratifications et remises de peine proportionnelles. Le début des
années 30, avec la dékoulakisation et la collectivisation marque une extension
considérable du Goulag, mais ce "fut
pour les détenus une époque quasiment “prospère” et même “libérale” ."
(Chlevnjuk, Storia del Gulag...
2006). Certes, il y eut beaucoup de "tragédies" provoquées par la
désorganisation, la pénurie, la famine, "l'incompétence ou la rapacité de dirigeants locaux" et
certains endroits, comme les gisements aurifères de la Kolyma, étaient
meurtriers[16]. Mais dans
d'autres cas d'importance économique majeure, "le Goulag peu à peu apportait la civilisation". Ainsi, au
complexe minier de Vorkuta (ville construite sur un terrain constamment gelé),
on créa des hôpitaux, des écoles et des ateliers techniques, des serres
agricoles et des usines électriques, etc. Dès les années 40 il y avait "un institut géologique et une université,
des théâtres [..] des piscines et des
crèches".. Jusqu'en 1937, les détenus étaient "rééduqués" et
appelés "camarades" (p.215). A partir des Grandes Purges, ils
devinrent des "ennemis du peuple". Pendant la guerre, et comme
ailleurs en Union soviétique, la famine fut très meurtrière au Goulag : à
l'hiver 41-42, qui fit beaucoup de morts à Leningrad, un quart de la population
des camps succomba. (p.219-35) Losurdo compare ensuite le Goulag aux
déportations aux travaux forcés tsaristes (Sibérie) ou anglaises (en Australie)
dans des conditions absolument inhumaines, aux camps alliés de prisonniers
allemands en 1946 (Bacque, déjà vu), à l'internement des japonais aux USA. Sa
comparaison avec les camps nazis insiste sur l'idéologie raciale exterminatoire
des hitlériens qui consistait "à
reprendre et radicaliser la tradition coloniale en la mettant en œuvre en
Europe orientale" (p.228). Apparaît alors ce qu'il appelle le
"Tiers absent" de la comparaison stalinisme-nazisme : les pertes
humaines dont on ne parle jamais, celles de la traite et de l'esclavage, qui
consommaient les Africains dans les plantations, le génocide des Indiens au
Canada, ou le traitement des prisonniers noirs dans les camps de travail US
après la guerre de Sécession, etc. L'argument essentiel concernant l'Union
soviétique est l'absence d'idéologie meurtrière, raciale ou autre. Les dégâts
sont dus aux effrayantes conditions objectives des années 30 où la destruction
des structures sociales et la famine ont créé de vastes espaces d'insécurité
(Sibérie) "où se concentrent
marginaux et hors-la-loi, où des bandes armées attaquent les kolkhozes isolés
et tuent les rares “représentants du pouvoir soviétique” (une citation de
N. Werth, 2006)..". Le gouvernement fait face à un terrorisme réel et ce
n'est qu'avec la dictature, c'est-à-dire "l'autocratie que le pouvoir soviétique arrive au plein contrôle du
territoire et de l'appareil d'Etat et la terreur est avant tout la réponse à
une crise on ne peut plus aiguë et de longue durée" (p.225). Losurdo
admet cependant que les choses ont été aggravées par une certaine hystérie
populaire allant de pair avec la nouvelle mobilité sociale de
l'industrialisation. Les ouvriers réclamaient le châtiment des traîtres. L'URSS
était bien en danger, "mais
l'hystérie n'est pas moins réelle", ajoute-t-il (p.227).
Dans la section suivante, l'absurdité d'assimiler nazisme et stalinisme
apparaît bien avec le
problème des nationalités (p.235). Staline avait noté le réveil des
nationalités (tchèques, hongroise, polonaise, lettone, etc.) en Europe centrale
après 1918 sur des territoires germanisés ou russifiés. L'URSS fut le premier
Etat multiethnique (avec une administration et même un gouvernement
multiethniques) fondé sur "l'affirmative
action". Les Républiques et les régions autonomes eurent leur drapeau,
leur hymne, leur langue nationale écrite et enseignée (et parfois retranscrite
de la tradition orale), etc. On fit de gros efforts pour qu'elles aient une
personnalité. L'hitlérisme fut l'exact opposé. On peut germaniser le sol, pas
les hommes, disait Hitler : un nègre parlant allemand sera toujours un nègre.
Pas de mélanges susceptibles d'abâtardir l'élément germanique! Dans les
conquêtes à l'Est, les intelligentsias (d'abord polonaise) devaient être
anéanties pour faciliter l'asservissement des peuples slaves par la "race
des seigneurs".
Pour finir, une
"dictature développementiste" (p.241) est la
thèse la plus intéressante mais pas vraiment développée. Losurdo voit la
société soviétique comme "caractérisée
non pas par une uniformité et un alignement totalitaires mais bien par la
permanence et l'omniprésence de la guerre civile.." Il compare (très)
brièvement la période stalinienne au règne de Pierre le Grand, mais c'est pour
parler aussitôt des migrations de la main d'œuvre, de l'absentéisme ouvrier et
des conditions de travail plus que tolérantes (exception faite du phénomène
spontané de stakhanovisme) dans les usines soviétiques (et chinoises) en
comparaison de la discipline rigoureuse à l'Ouest.
Le Chapitre 5, "Refoulement de l'histoire et construction de
la mythologie. Staline et Hitler comme monstres jumeaux" [p.251], commence par noter la symétrie de jugement des anciens alliés
pour qui l'hitlérisme n'a pas disparu après 1945. Le racisme des Américains
("white supremacy" est
dénoncé par Ilya Ehrenburg, "l'impérialisme" occidental par Lukàcs,
et le "totalitarisme" soviétique par Arendt. Ghandi avait comparé
l'Angleterre coloniale et l'Allemagne hitlérienne; mais aujourd'hui, le
"totalitarisme" est devenu lieu commun et Hitler et Staline sont
devenus frères jumeaux. Cela est commode pour "refouler" tout le
contexte dramatique dans lequel s'est construite l'URSS et tout le passé
colonial, racialiste et même génocidaire des pays occidentaux (Angleterre,
France, USA). Les nazis n'ont fait que reprendre leurs théories, grâce à HS
Chamberlain (p.258). Pour démolir le "théorème
des affinités électives" (entre Staline et Hitler) Losurdo rétablit
ensuite la chronologie des relations entre Hitler, les puissances occidentales
qui viennent le courtiser[17]
et l'URSS, avant le pacte germano-soviétique. Ce pacte, improvisé pour gagner
du temps a permis à l'URSS d'aider les partisans de Mao et n'a pas trompé tout
le monde[18]. A la
section suivante, Losurdo dénonce la propagande de l'holocauste ukrainien (Holodomor) qui équivaudrait à
l'extermination des Juifs par les nazis (Trotski, né en Ukraine et qui compare
Staline à Hitler, n'en parle pas) et évoque l'utilisation de la famine
terroriste par l'Occident libéral. Tocqueville appelait à brûler
les récoltes en Algérie, Jefferson à "imposer
à Toussaint la mort par inanition" (p.289), sir Charles E Treveylan
remerciait la Providence d'avoir résolu, par une grande famine, le problème de
la surpopulation et de la rébellion irlandaises (p.290)[19].
(p.292) La suite est largement consacrée à la légende de l'antisémitisme
supposé de Staline[20].
Les bolchéviques comptaient beaucoup de Juifs parmi eux, la croisade de Hitler
contre le "judéo-bolchévisme" n'était pas sans raison et Trotski
était le grand satan juif. En raison de l'extermination nazie, les soviétiques
savaient pouvoir compter sur les cadres communistes juifs dans les pays
d'Europe qu'ils occupaient (Ràkosi en Hongrie). De même que Lénine avait appelé à
"liquider" l'antisémitisme, traditionnel en Russie
tsariste, Staline a dénoncé l'antisémitisme nazi avant et après l'arrivée au
pouvoir de Hitler (en 1931 et 1936, p.309), qu'il traite de
"cannibalisme". Roosevelt et Churchill ne l'ont jamais fait et ont eu
des complaisances antisémites. Au tribunal de Nuremberg, les soviétiques ont
souligné l'horreur du judéocide nazi. Staline a soutenu la fondation d'Israël
et armé la "Haganah" avec
des armes Tchèques. A cette époque, les sionistes sont prosoviétiques et
anti-occidentaux (p.317).
Puis, Losurdo évoque le
tournant de la Guerre froide et le chantage aux époux Rosenberg
(1952-53, communistes et juifs) qui correspond aux procès Rajk (1949) et
Slansky (1952) en Hongrie et Tchécoslovaquie[21].
Le Maccarthysme presse les Juifs américains de dénoncer l'antisémitisme
soviétique et cette légende noire qui ne repose sur rien[22]
va s'amplifier (Krouchtchev l'utilisera) au fur et à mesure que le rapport de
forces devient plus favorable à l'Occident (p.325). Elle se nourrit toutefois
d'un vrai problème des années 1947-1950 : la pression sioniste à l'émigration
des Juifs (tchèques, hongrois, etc.) en Israël. Celle-ci provoque une hémorragie
de cadres éduqués dans les nouveaux pays "socialistes" qui entraîne
une réaction du gouvernement et du parti (où se trouvent d'autres Juifs
communistes). Par ailleurs, une majorité de Juifs survivants de la
"Shoah" ne souhaitent qu'une chose : l'assimilation. L'affaire
s'envenime à cause du noyautage des organisations sionistes par la CIA[23]
et de l'évolution d'Israël qui ne reste pas neutre dans les tensions Est-Ouest
(affaire de Suez, 1956). L'antisionisme des gouvernements communistes sera
dénaturé en "antisémitisme". Dans la section suivante, Losurdo évoque
l'amalgame de ce faux "antisémitisme stalinien" avec la lutte des
soviétiques contre le "cosmopolitisme",
en fait l'internationalisme trotskiste, qui ne s'incarne pas dans des luttes
nationales. Dès les années 20 et 30, Gramsci comme Staline appelle à conjuguer
internationalisme et patriotisme. (p.334-35) Losurdo note que le problème avait
été traité par Kant et par Hegel (Philosophie
du droit, §209A et 126Z), à propos de la Révolution française. Ce dernier
souligne l'importance du concept
universel d'homme, titulaire de droits "en tant qu'homme et non en tant que Juif, catholique, protestant,
Allemand, Italien, etc..", mais qui ne doit pas déboucher sur une
"universalité vide",
l'amour abstrait du genre humain devenant un moyen de fuir les responsabilités
concrètes liés à la famille, la société, la nation.
Le Chapitre 6, "Psychopathologie, morale et histoire dans la
lecture de l'ère stalinienne" [p.345], passe en
revue un certain nombre d'événements relativisant largement les "crimes de
Staline" en montrant que le pire fut également perpétré dans le "camp
de la liberté". Plutôt que de croire en la "paranoïa" de
Staline, demandons nous d'abord s'il existe des dangers objectifs et ce que
font habituellement les dirigeants pour les contrer. Churchill : "..il y avait alors en Angleterre vingt mille
nazis organisés" (p.347) et des mesures avaient été prises pour arrêter tous ceux qu'on
pouvait soupçonner de sympathiser
avec l'ennemi (un critère flou!). Mieux encore, Roosevelt, qui comprenait bien
"la valeur de l'anxiété nationale" [NB confronté à l'isolationnisme
américain], lança de nombreuses campagnes alarmistes : la "cinquième
colonne", des attaques de parachutistes nazis sont imminentes,
taisez-vous, les espions sont partout, etc. Le moins qu'on puisse dire, c'est
que la "paranoïa" de l'Occident libéral valait bien celle de Staline.
Et pourtant (donnée géopolitique majeure) les USA, encadrés par deux océans, le
Canada et le Mexique, étaient tout de même moins vulnérables que
l'URSS. Les tentatives d'infiltration de sabotage et d'espionnage en URSS
furent constantes pendant la Guerre froide (réseaux Gehlen, etc.) et, en 1974,
(p.354) d'après un grand quotidien US, un certain "Gus Weiss"
organisa pour la CIA une campagne de sabotage d'ordinateurs qui entraîna une
énorme explosion en Sibérie "et aida
les Etats-Unis à gagner la Guerre froide." (p.354)
L'indignation sur les
"crimes" de Staline a la mémoire courte. Dans les années 1920,
c'était l'extermination de masse (Völkermord)
de la Première Guerre mondiale qui était dans toutes les mémoires."Horrible fabrique de cadavres"
(Boukharine), "affaire quotidienne
et ennuyeusement monotone" qui répand "une atmosphère d'assassinat rituel" (Luxembourg), "retour à la barbarie morale"
(Liebknecht), "le travail de Caïn de
la presse "patriotique" [des deux camps] est la démonstration irréfutable de la décadence morale de la société
bourgeoise" (Trotski), "barbarie
scientifique [qui utilise les grandes découvertes] pour détruire les fondements de la vie sociale civilisée, et anéantir
l'homme" (Trotski), etc., etc. Encore plus répugnant, ces massacres
sont glorifiés par certains hommes politiques (p.361). Ainsi, Théodore
Roosevelt parle de celui qui jouit dans la bataille, qui jouit "de la douleur, de la peine, du danger comme
s'ils ornaient son triomphe", ou encore : "la guerre est un jeu au cours duquel il faut sourire"
(Churchill), la Première Guerre mondiale, "grande et merveilleuse" (Max Weber), et "purification des hommes" (Herbert
Hoover), fut une "régénération de la
vie sociale présente" (B. Croce). (p.362) Les massacres sont justifiés
par le darwinisme. En 1913, un auteur allemand écrivait : "La lutte pour l'existence exacerbe
l'hostilité entre Européens et pousse à des tentatives de destruction
réciproque." Ou simplement par l'intérêt, comme en Afrique, où
Anglais, Français et Allemands ont exterminé des populations entières pour
"piller la terre et devenir
propriétaires fonciers" (Lénine). Mais pourquoi s'en émouvoir? (p.363)
"heureusement, les hommes politiques
durs et énergiques qui accomplissent en pionniers le travail difficile de
civiliser des territoires barbares ne se laissent pas abattre par de faux
sentimentalismes" (Théodore Roosevelt) en écho à Bugeaud, que Tocqueville
admirait comme un modèle "d'énergie"
et de "vigueur sans pareille"
et qui se moquait des "excellents
philanthropes", inquiets des brutalités sanguinaires de la conquête
française en Algérie. La Révolution d'Octobre a soulevé l'espoir du "plus
jamais ça" par rapport à la Première Guerre mondiale. Au cours de
celle-ci, les classes populaires se sont massacrées (comme disait V. Pareto :
"prolétaires de tous les pays,
tuez-vous!"[24])
d'autant plus facilement qu'il régnait au front une "discipline de caserne-prison" et que les arrières étaient
"des bagnes militaires pour les
ouvriers" (Lénine). Evidemment, la dénonciation de la Realpolitik bourgeoise par les
révolutionnaires russes ne plaît pas à M. Benedetto Croce qui ironise sur la
figure odieuse et ridicule des bolchéviques, ces "moralistes politiques" qui ont ouvert "une grande cour de justice appelant tous les
peuples à l'examen" et qui, de plus, "ont rendu publics les traités diplomatiques". Pour lui, il est
absurde de "prononcer un jugement
moral sur les Etats" et d'attribuer "des droits à qui ne sait pas les conquérir ou ne sait pas les défendre"
(p.366).
Losurdo évoque ensuite les
politiques de terreur et d'extermination. Churchill défendait la
"race" anglaise et voulait faire une politique eugéniste en 1911. Il
justifiait ensuite le mitraillage par avion des manifestations indépendantistes
en Inde et, finalement, ordonnait des bombardements terroristes massifs sur
Dresde, Hambourg, etc. Peu après, Truman détruisait Hiroshima et Nagasaki, en
lançant du même coup un avertissement à l'URSS. Le racisme n'était pas absent
de ces plans, les Japonais étaient des "sous-hommes" et Roosevelt, un
moment pensa faire castrer les Allemands tandis que la ségrégation des Noirs
restait en vigueur dans l'armée et les villes américaines. Roosevelt n'impulsa
jamais aucun projet de loi contre les lynchages (p.376).
La question des jugements
moraux en histoire est évidemment teintée d'idéologie. Si Hitler est
unanimement considéré comme la figure du Mal, quelques historiens ont tout de
même noté que les politiciens anglais et français de "l'apaisement" avec lui (qui voulaient le "lancer"
sur l'URSS) avaient tout de même une lourde responsabilité. Si Staline est
aujourd'hui placé sur le même plan que Hitler, il a été crédité, après la
guerre de la principale contribution à la victoire. Cela excuse-t-il le Goulag,
et plus encore Katyn, par exemple?. Avant de juger, il faut être sûr du
caractère exemplaire de ce dernier épisode, un crime massif "motivé"
par d'expéditives raisons de sécurité. Or la Guerre de Corée a été le cadre de
plusieurs Katyn. Les réfugiés fuyant le Nord bombardé par l'aviation US furent
souvent fusillés par les Américains et les Sud-Coréens de peur que des espions
ne s'infiltrassent parmi eux, même lorsqu'il s'agissait de femmes et d'enfants[25].
A la fin du chapitre, Losurdo évoque la comparaison (faite par
Churchill) de Staline à Pierre le Grand, tsar fondateur de la Russie moderne
qui assimila les techniques occidentales, créa un Etat nouveau[26]
et, ne l'oublions pas, fut le Tsar de référence de l'histoire russe pour Lénine
et Staline.
Mais la comparaison renvoie à un contexte exclusivement national russe alors que l'URSS s'est voulu internationaliste dans
le sens où cohabitaient (mais à l'intérieur de ses frontières) de nombreuses
races et nationalités sur un pied d'égalité. Ce fait même eut beaucoup d'écho
chez les Noirs américains qui comparèrent Staline à "un nouveau
Lincoln". La propagande communiste sur le principe d'égalité raciale joua
un rôle important aux USA dans la lutte pour l'intégration et les droits
civiques. Dans sa Constitution de 1936 (certes, jamais entrée en vigueur),
l'URSS condamne les trois grandes discriminations caractéristiques de
l'Occident libéral (classes, sexes et races), en même temps qu'elle veut
garantir de nouveaux droits (au travail, au repos, à l'instruction et à la
culture). Ces droits étaient la base du totalitarisme pour l'ultra-libéral von
Hayek. Enfin, « last
but not least » (p.396) Losurdo estime que le "stalinisme" n'est
pas un concept pertinent, dans la mesure où Staline était essentiellement
pragmatique et où son système despotique répondait à des états d'exception
successifs. Avec pour corollaire que lorsque ceux-ci se sont atténué, le parti
est "comme écrasé par l'avènement de
cette relative normalité" (p.397).
Le Chapitre 7, "L'image de Staline, entre histoire et
mythologie" [p.399], examine les sources
historiques de "l'image de Staline" et les hauts et les bas de
celle-ci qui sont accompagnés de toutes sortes de mensonges[27].
Les textes de Trotski qui, en 1939 aveuglé de haine, traite Staline de
"majordome de Hitler" y sont pour quelque chose. Ces dénigrements ont
été relancés par Krouchtchev après une brève période (de Stalingrad à la Guerre
froide) où Staline incarnait l'URSS héroïque et où le bien fondé des procès de
Moscou (complots) était reconnu (de Gasperi, etc). De ce point de vue, dit
Losurdo, l'évolution de Deutscher est caractéristique : d'abord favorable à
Staline, puis trop vite convaincu par Krouchtchev, il en revient ensuite
(p.406). Heureusement, les (vraies) recherches historiques récentes
rétablissent la vérité, au moins sur le mensonge Staline-assassin-des-nations
(bien au contraire il reconnut le fait national dès 1913 et fut l'artisan d'une
"affirmative action" bien réelle [NB le contraire des thèses de
Carrère d'Encausse, d'origine géorgienne] et sur Staline-mauvais-chef-de-guerre[28].
Losurdo s'interroge ensuite sur les motifs contradictoires de la diabolisation
de Staline et constate qu'une fois lancée, une mythologie noire s'enrichit de
nombreux détails inventés. L'histoire de la Révolution française regorge de ces
mensonges et le bolchevique au couteau entre les dents a succédé au jacobin
"avide de sang".
Le Chapitre 8, "Diabolisation et hagiographie dans la
lecture du monde contemporain" [p.423] commence
par la "crucifixion de la Chine" au 19e et 20e
siècles jusqu'à Truman et Kennedy qui utilisèrent l'arme des blocus de famine
pour retarder le développement du pays. Les catastrophes maoïstes du "grand
bond en avant" et de la Révolution culturelle en sont partiellement la
conséquence.. Il est question ensuite du Cambodge de Pol Pot (soutenu
indirectement par les USA) et des bombardements US, beaucoup plus meurtriers.
Losurdo revient ensuite sur la collusion entre les dirigeants anglo-saxons
libéraux et Hitler sur le thème des droits de la "race supérieure" et
du racisme (white supremacy). Il
détaille ensuite les épouvantables tortures et les lynchages infligés aux Noirs
dans le Sud des USA de Roosevelt[29]
(p.451) et évoque ensuite le génocide des Mau-Mau au Kenya par les Anglais, de
1952 à 1959. Il revient également (pour la nième fois) sur Tocqueville qui
réclame l'exécution de tous les révoltés de juin 1948 et le nettoyage des
nouveaux jacobins, Tocqueville qui recommande des pratiques coloniales
quasiment génocidaires en Algérie et en particulier qu'on ne laisse "subsiter.. aucune ville dans les domaines
d'Abd'el-Kader". Losurdo est ici terriblement répétitif et confus. Il
aboutit cependant à la conclusion que le fil qui conduit des penseurs libéraux,
Mill et Tocqueville, au travail forcé et aux massacres coloniaux est beaucoup
plus direct que celui que les anticommunistes veulent tisser entre Marx et
Engels et les "crimes de Staline" au prix d'amnésies historiques
majeures. Entre de nombreuses digressions, on comprend son argument : pour
mieux cacher les événement et enchaînements décisifs, on fabrique une histoire
tératologique à base de "monstres". Mais l'enfance et l'adolescence
de Hitler ne nous apprendraient rien sur les origines et la genèse du nazisme,
ni la psychologie des Pères fondateurs américains sur l'esclavage et
l'extermination des Peaux-Rouges, ou la personnalité de Bush junior sur
Guantanamo, etc. Cet argument s'applique aussi à ceux, bien ou mal
intentionnés, qui veulent voir (après Trotski et Krouchtchev) dans le
"stalinisme" une monstrueuse "dégénérescence" des nobles
idéaux de Marx et de Lénine. Staline serait donc un fou, un
"dégénéré", tout comme Cromwell et quelques autres? Ce genre
d'explication n'en est absolument pas une.
[p.473] Intéressante Postface
de Luciano Canfora : "De
Staline à Gorbatchev, comment finit un Empire".
Canfora rive le clou. p. 476-77 il évoque "la volonté bien enracinée dans l'esprit de Hitler de détruire tôt ou
tard l'URSS (comme Kershaw l'a bien documenté dans ses livres), ainsi que la
faible volonté anglo-française d'arriver vraiment à un pacte anti-allemand avec
Staline (Churchill l'écrit très bien dans son "De guerre à guerre").
Sans parler de l'hostilité polonaise à laisser passer les troupes soviétiques
sur son propre territoire en cas de conflit..."
Evocation d'une "époque de fer", le livre Der geplante Tod (La mort planifiée) de
Bacque[30],
raconte l'anéantissement de centaines de milliers de prisonniers allemands par
les USA.
Le culte du chef dans une guerre ou une lutte politique est un
phénomène très répandu. Le mausolée de Lénine ("pharaonico-hellénistico-byzantin") fut voué par Staline au
"besoin de charisme des masses
soviétiques". Il n’y a rien d'extraordinaire là-dedans.
(p.479) Croce n'était pas dupe, lui qui a écrit, dans son Histoire
d'Europe que "le communisme ne s'est
point réalisé en Russie en tant que communisme" (1932).
(p.480-81) "Staline revient
aujourd'hui dans le sentiment collectif des Russes" sans doute en
raison du contraste entre le déclin actuel et ce qu'avait fait Staline de la
Russie "en la restaurant de sa
situation d'infériorité matérielle et d'isolement". Canfora ajoute :
"Molotov se souvient que Staline lui
avait dit un jour : à ma mort, ils jetteront des ordures sur ma tombe, mais
plus tard ils comprendront." Bien sûr, on reproche à Staline
d'immenses hécatombes mais le jugement de l'Histoire oscille aujourd'hui comme
il l'avait fait au cours du XIXe siècle pour la Révolution française. "Cette échelle d'évaluation.... a été
dernièrement polluée par les monstruosités dudit Livre noir de Courtois et de ses collègues : livre qui
inclut parmi les "victimes de Staline" jusqu'aux millions de morts de
la guerre mondiale, ou parmi les "victimes du communisme", les
victimes innombrables de l'UNITA en Angola. Après ce monstrueux pamphlet, il
est ardu de ramener la réflexion sur un plan décent, et le rapide
démantèlement, qui a ensuite suivi, de ces chiffres vertigineux ne suffit pas
non plus. Le problème central est le lien entre Révolution et Terreur.."
Staline a envoyé à la mort "des foules de communistes", mais le
"grand écrivain juif, Lion
Feuchtwanger, a évoqué à propos des “grands procès” un facteur capital “La
majeure partie des accusés était en premier lieu des conspirateurs et des
révolutionnaires, ils avaient été toute leur vie des subversifs et des
opposants, ils étaient nés pour ça.” [Feuchtwanger, 1946, p.97 ?“Mosca, 1937, etc.”? en ital.] De même,
De Gasperi (discours au Brancaccio) : “Nous
croyions que les procès étaient faux, les témoignages inventés, les confessions
extorquées. Voilà que des informations américaines objectives assurent qu'il ne
s'agissait pas d'un faux, et que les saboteurs n'étaient pas de vulgaires escrocs,
qu'ils étaient de vieux conspirateurs idéalistes [..] qui affrontaient
la mort plutôt que de s'adapter à ce qui était pour eux une trahison du
communisme originel".
(p.481-82) Pour Canfora, le discours de Krouchtchev et la
"déstalinisation" inauguraient une lutte pour le pouvoir au sommet,
non différente de celle qui avait opposé Trotski et Staline, une véritable
guerre civile à l'intérieur du Parti. Un événement éclaire ce conflit et la
répression ininterrompue qui s'ensuivit dans les années de gouvernement de
Staline avant la guerre, "le coup
d'Etat tenté par Trotski à Moscou le 7 novembre 1927 à l'occasion du défilé
pour la décennie de la Révolution." Le coup manqua[31]
et laissa une division profonde dans le parti "où le prestige de Trotski restait énorme". Ce fut une guerre
civile rampante présentée par la propagande comme une lutte contre des
"saboteurs". Elle aboutit aux "procès de Moscou et à la Grande
Terreur (purges) de 1937-38.
La question principale : Staline s'est-il perçu d'abord comme un homme d'Etat russe voué à la
renaissance de son pays ou comme un dirigeant communiste ayant des
responsabilités mondiales? Cette question agite surtout l'historiographie
d'inspiration trotskiste (Trotski, Rosenberg, Deutscher) mais elle est oiseuse
pour les raisons suivantes. (p.484) "Il
y a trois moments capitaux dans la politique des relations internationales de
l'URSS qui en constituent le “fil rouge” et qui s'éclairent réciproquement :
Brest-Litovsk (janvier 1918), le “pacte” russe-allemand (août 1939), Yalta
(février 1945)." A Brest-Litovsk, Staline se retrouve du côté de
Lénine contre Trotsky qui fait tout pour torpiller la paix et démissionne de
son poste de commissaire aux affaires internationales (Zinoviev et Kamenev
hésitent). L'affaire est importante et évoquée avec du vrai et du faux aussi
bien dans l'Histoire du Parti communiste
d'URSS (officielle, contrôlée par Staline) que dans l'autobiographie de
Trotsky (Ma vie). (p.486) Ce dernier
rêvait de Valmy et "cultivait l'illusion" d'un incendie révolutionnaire
balayant l'Europe après une reprise des hostilités entre l'Allemagne et les
Soviets. Le choix réaliste de Lénine et de Staline est "l'acte de naissance de la politique
extérieure soviétique", une politique d'Etat basée sur le principe “que les impérialistes se massacrent entre
eux, nous, nous restons en dehors et nous nous renforçons” [..]", et
son corollaire : "le renforcement de
l'URSS profite à la cause de la révolution à l'échelle planétaire".
(p.488-489) Ce fut exactement la même problématique en 1939, après
l'écroulement de la République espagnole (dont l'URSS fut le seul soutien) dans
une situation d'autant plus dangereuse que le Japon lorgnait sur la Sibérie
avant d'en être dissuadé par la victoire de Joukov à Kalkhin-Gol, à l'été 1939,
en même temps que le pacte germano-soviétique. Entre les deux, l'échec de la
vague révolutionnaire de 1919-1920 (Berlin, Munich, Budapest) avait montré que
le choix étatique, pragmatique et réaliste, avait été bon. Comme le dit
Gorbatchev, en 1987, au 70e anniversaire d'Octobre : "la vie et la mort, balayant les mythes, devinrent le seul
critère de la réalité". Enfin, après l'épreuve de la Grande Guerre
patriotique, les discussions avec Roosevelt et Churchill sur la Pologne et les
pourcentages des "zones d'influence" aboutirent, à Yalta, au maintien
des avantages territoriaux obtenus par l'URSS en août 1939 (pacte
germano-soviétique), puisque la Pologne était déplacée vers l'Ouest (p.491).
Tout cela était de la politique d'Etat, une politique
de sécurité entre Etats, finalement confirmée à Helsinki, le 1er
août 1975 par la Conférence pour la
sécurité et la collaboration en Europe consacrant l'inviolabilité des
frontières issues de la deuxième Guerre Mondiale.
Deutscher (1954) a écrit :“Sous
un aspect crucial Staline poursuivit l'œuvre de Lénine : il essaya de défendre
l'Etat construit par Lénine et d'en augmenter la puissance”. Ce n'était pas
la perspective du communisme marxien de dépérissement de l'Etat. Et Deutscher
d'ajouter : “une seule voie s'ouvrait
devant lui, celle qui conduisait à l'autocratie” [..] “le régime bolchevique ne pouvait pas revenir à ses origines
démocratiques, parce qu'il ne pouvait pas espérer un appui suffisant pour en
garantir la survie.”
(p.492bas-497) Enfin, Canfora s'interroge sur les motivations de Gorbatchev qui commence à
démanteler spontanément, après 1988, ses positions de force. Il révèle
l'existence (1) d'une alliance entre le pape Wojtyla et R. Reagan pour un
soutien massif à Solidarnosc et
Walesa, et (2) suggère des contacts entre le pape et Gorbatchev. Canfora
termine en comparant l'URSS à l'Empire athénien (70 ans, espoir et coercition),
Staline à Périclès et Gorbatchev à Adimante.
En passant, Canfora indique qu'en 1945, Staline ne voulait pas ériger
la zone soviétique en Etat allemand (DDR) ni imposer le modèle soviétique aux
"pays de l'Est" (Losurdo, ch.4, p.196-99). Chaque pays devait choisir
sa voie. Mais la Guerre froide imposa de resserrer les rangs.
—————————
Table des matières
Préambule
Le tournant dans l'histoire
de l'image de Staline......................................... 11
De la Guerre froide au Rapport Khrouchtchev ................................................... 11
Pour un comparatisme tous azimuts................................................................ 20
De la Guerre froide au Rapport Khrouchtchev ................................................... 11
Pour un comparatisme tous azimuts................................................................ 20
1. Comment précipiter un dieu en
enfer : le Rapport
Khrouchtchev........................................................................................... 27
1.1. Un « énorme monstre humain, sombre, capricieux et dégénéré »............................. 27
1.2. La Grande Guerre patriotique et les « inventions »
de Khrouchtchev.......................................................................................................................... 31
1.3. Une série de campagnes de désinformation et l'opération Barbarossa.................... 35
1.4. L'échec de la guerre-éclair se profile rapidement........................................................ 40
1.5. La carence de « bon sens » et les « déportations
de masse de populations entières ».......................................................................................... 51
1.6. Le culte de la personnalité en Russie de Kerenski
à Staline........................................................................................................................................ 59
Khrouchtchev........................................................................................... 27
1.1. Un « énorme monstre humain, sombre, capricieux et dégénéré »............................. 27
1.2. La Grande Guerre patriotique et les « inventions »
de Khrouchtchev.......................................................................................................................... 31
1.3. Une série de campagnes de désinformation et l'opération Barbarossa.................... 35
1.4. L'échec de la guerre-éclair se profile rapidement........................................................ 40
1.5. La carence de « bon sens » et les « déportations
de masse de populations entières ».......................................................................................... 51
1.6. Le culte de la personnalité en Russie de Kerenski
à Staline........................................................................................................................................ 59
2. Les bolcheviques du conflit idéologique à la
guerre civile............................................................................................. 65
2.1. La Révolution russe et la dialectique de
Saturne.......................................................................................................................................... 65
2.2. Le ministère des Affaires étrangères « ferme
boutique »...................................................................................................................................... 69
2.3. Le déclin de l'« économie de l'argent » et de la
« morale mercantile » ............................................................................................................... 77
2.4. « Ne fais plus de distinction entre le tien et le mien » :
la disparition de la famille......................................................................................................... 88
2.5. La condamnation de la « politique des chefs » ou:
la « transformation du pouvoir en amour »............................................................................ 91
2.6. L'assassinat de Kirov : complot du pouvoir ou
terrorisme?.................................................................................................................................. 98
2.7. Terrorisme, coup d'État et guerre civile....................................................................... 104
2.8. Conspiration, infiltration dans l'appareil d'État
et « langue ésopique »............................................................................................................. 108
2.9. Infiltration, désinformation et appels à
l'insurrection............................................................................................................................. 115
2.10. Guerres civiles et manœuvres internationales.......................................................... 119
2.11. Entre « renversement bonapartiste », « coups d'État »
et désinformation : le cas Toukhatchevski........................................................................... 127
2.12. Trois guerres civiles...................................................................................................... 133
guerre civile............................................................................................. 65
2.1. La Révolution russe et la dialectique de
Saturne.......................................................................................................................................... 65
2.2. Le ministère des Affaires étrangères « ferme
boutique »...................................................................................................................................... 69
2.3. Le déclin de l'« économie de l'argent » et de la
« morale mercantile » ............................................................................................................... 77
2.4. « Ne fais plus de distinction entre le tien et le mien » :
la disparition de la famille......................................................................................................... 88
2.5. La condamnation de la « politique des chefs » ou:
la « transformation du pouvoir en amour »............................................................................ 91
2.6. L'assassinat de Kirov : complot du pouvoir ou
terrorisme?.................................................................................................................................. 98
2.7. Terrorisme, coup d'État et guerre civile....................................................................... 104
2.8. Conspiration, infiltration dans l'appareil d'État
et « langue ésopique »............................................................................................................. 108
2.9. Infiltration, désinformation et appels à
l'insurrection............................................................................................................................. 115
2.10. Guerres civiles et manœuvres internationales.......................................................... 119
2.11. Entre « renversement bonapartiste », « coups d'État »
et désinformation : le cas Toukhatchevski........................................................................... 127
2.12. Trois guerres civiles...................................................................................................... 133
3. Entre XXe siècle et longue durée, entre
histoire du
marxisme et histoire de la Russie : les origines du «stalinisme»............ 137
3.1. Une catastrophe annoncée................................................................................................ 137
3.2. L'État russe sauvé par les partisans de l'« extinction
de l'État ».................................................................................................................................... 144
3.3. Staline et la conclusion de la Seconde Période
des désordres............................................................................................................................. 147
3.4. Utopie exaltée et prolongation de l'état
d'exception.................................................................................................................................. 151
3.5. De l'universalisme abstrait à l'accusation de
trahison....................................................................................................................................... 158
3 6. La dialectique de la révolution et la genèse de
l'universalisme abstrait .......................................................................................................... 163
3.7. Universalité abstraite et terreur dans la Russie soviétique...................................... 168
3.8. Ce que gouverner signifie : un processus
d'apprentissage tourmenté...................................................................................................... 174
marxisme et histoire de la Russie : les origines du «stalinisme»............ 137
3.1. Une catastrophe annoncée................................................................................................ 137
3.2. L'État russe sauvé par les partisans de l'« extinction
de l'État ».................................................................................................................................... 144
3.3. Staline et la conclusion de la Seconde Période
des désordres............................................................................................................................. 147
3.4. Utopie exaltée et prolongation de l'état
d'exception.................................................................................................................................. 151
3.5. De l'universalisme abstrait à l'accusation de
trahison....................................................................................................................................... 158
3 6. La dialectique de la révolution et la genèse de
l'universalisme abstrait .......................................................................................................... 163
3.7. Universalité abstraite et terreur dans la Russie soviétique...................................... 168
3.8. Ce que gouverner signifie : un processus
d'apprentissage tourmenté...................................................................................................... 174
4. Le cours complexe et contradictoire de l'ère
stalinienne............................................................................................................................... 181
4.1. De la relance de la "démocratie soviétique" à
la «nuit de la Saint-Barthélémy.............................................................................................. 181
4.2. Du «démocratisme socialiste à la Grande
Terreur ...................................................................................................................................... 192
4.3. Du « socialisme sans dictature du prolétariat » au
tour de vis de la Guerre froide................................................................................................ 196
4.4. Bureaucratie ou « foi furieuse »?.................................................................................. 199
4.5. Un univers concentrationnaire riche de
contradictions ........................................................................................................................... 209
4.6. Sibérie tsariste, «Sibérie» de l'Angleterre libérale
et Goulag soviétique ................................................................................................................. 219
4.7. L'univers concentrationnaire en Russie soviétique
et dans le Troisième Reich ..................................................................................................... 222
4.8. Goulag, Konzentrationslager et Tiers absent.............................................................. 229
4.9. Le réveil national en Europe orientale et dans les
colonies: deux réponses antithétiques................................................................................... 235
4.10. Totalitarisme ou dictature développementiste ?........................................................ 241
stalinienne............................................................................................................................... 181
4.1. De la relance de la "démocratie soviétique" à
la «nuit de la Saint-Barthélémy.............................................................................................. 181
4.2. Du «démocratisme socialiste à la Grande
Terreur ...................................................................................................................................... 192
4.3. Du « socialisme sans dictature du prolétariat » au
tour de vis de la Guerre froide................................................................................................ 196
4.4. Bureaucratie ou « foi furieuse »?.................................................................................. 199
4.5. Un univers concentrationnaire riche de
contradictions ........................................................................................................................... 209
4.6. Sibérie tsariste, «Sibérie» de l'Angleterre libérale
et Goulag soviétique ................................................................................................................. 219
4.7. L'univers concentrationnaire en Russie soviétique
et dans le Troisième Reich ..................................................................................................... 222
4.8. Goulag, Konzentrationslager et Tiers absent.............................................................. 229
4.9. Le réveil national en Europe orientale et dans les
colonies: deux réponses antithétiques................................................................................... 235
4.10. Totalitarisme ou dictature développementiste ?........................................................ 241
5. Refoulement de l'histoire et
construction de la
mythologie. Staline et Hitler comme monstres jumeaux............................... 251
5.1. Guerre froide et reductio ad Hitlerum du nouvel ennemi......................................... 251
5.2. Le culte négatif des héros ............................................................................................... 256
5.3. Le théorème des affinités électives entre Staline
et Hitler....................................................................................................................................... 261
5.4. L'holocauste ukrainien comme pendant de
l'holocauste juif......................................................................................................................... 277
5.5. La famine terroriste dans l'histoire de l'Occident
libéral......................................................................................................................................... 286
5.6. Symétries parfaites et auto-absolutions :
antisémitisme de Staline? ...................................................................................................... 292
5.7. Antisémitisme et racisme colonial : la polémique Churchill-Staline..................... 299
5.8. Trotski et l'accusation d'antisémitisme adressée à Staline..................................... 302
5.9. Staline et la condamnation de l'antisémitisme tsariste et nazi................................. 308
5.10. Staline et le soutien à la fondation et à la
consolidation d'Israël............................................................................................................... 314
5.11. Le tournant de la Guerre froide et le chantage
aux époux Rosenberg ............................................................................................................... 321
5.12. Staline, Israël et les communautés juives de
l'Europe orientale...................................................................................................................... 325
5.13. La question du « cosmopolitisme ».............................................................................. 331
5.14. Staline à la « cour » des Juifs, les Juifs à la « cour »
de Staline.................................................................................................................................... 338
5.15. De Trotski à Staline, du monstre « sémite » au
monstre « antisémite »............................................................................................................. 342
mythologie. Staline et Hitler comme monstres jumeaux............................... 251
5.1. Guerre froide et reductio ad Hitlerum du nouvel ennemi......................................... 251
5.2. Le culte négatif des héros ............................................................................................... 256
5.3. Le théorème des affinités électives entre Staline
et Hitler....................................................................................................................................... 261
5.4. L'holocauste ukrainien comme pendant de
l'holocauste juif......................................................................................................................... 277
5.5. La famine terroriste dans l'histoire de l'Occident
libéral......................................................................................................................................... 286
5.6. Symétries parfaites et auto-absolutions :
antisémitisme de Staline? ...................................................................................................... 292
5.7. Antisémitisme et racisme colonial : la polémique Churchill-Staline..................... 299
5.8. Trotski et l'accusation d'antisémitisme adressée à Staline..................................... 302
5.9. Staline et la condamnation de l'antisémitisme tsariste et nazi................................. 308
5.10. Staline et le soutien à la fondation et à la
consolidation d'Israël............................................................................................................... 314
5.11. Le tournant de la Guerre froide et le chantage
aux époux Rosenberg ............................................................................................................... 321
5.12. Staline, Israël et les communautés juives de
l'Europe orientale...................................................................................................................... 325
5.13. La question du « cosmopolitisme ».............................................................................. 331
5.14. Staline à la « cour » des Juifs, les Juifs à la « cour »
de Staline.................................................................................................................................... 338
5.15. De Trotski à Staline, du monstre « sémite » au
monstre « antisémite »............................................................................................................. 342
6 Psychopathologie, morale et histoire dans
la lecture de l'ère stalinienne....................................................................................... 345
6.1. Géopolitique, terreur et « paranoïa » de Staline.......................................................... 345
6.2. La « paranoïa » de l'Occident libéral ............................................................................ 355
6.3. Immoralisme ou indignation morale?............................................................................ 358
6.4. La reductio ad Hitlerumm et ses variantes.................................................................. 369
6.5. Conflits tragiques et dilemmes moraux ....................................................................... 377
6.6. Le Katyn soviétique et le « Katyn » états-unien et
sud-coréen.................................................................................................................................. 385
6.7. Inéluctabilité et complexité du jugement moral........................................................... 389
6.8. Staline, Pierre le Grand et le « Nouveau Lincoln ».................................................... 391
la lecture de l'ère stalinienne....................................................................................... 345
6.1. Géopolitique, terreur et « paranoïa » de Staline.......................................................... 345
6.2. La « paranoïa » de l'Occident libéral ............................................................................ 355
6.3. Immoralisme ou indignation morale?............................................................................ 358
6.4. La reductio ad Hitlerumm et ses variantes.................................................................. 369
6.5. Conflits tragiques et dilemmes moraux ....................................................................... 377
6.6. Le Katyn soviétique et le « Katyn » états-unien et
sud-coréen.................................................................................................................................. 385
6.7. Inéluctabilité et complexité du jugement moral........................................................... 389
6.8. Staline, Pierre le Grand et le « Nouveau Lincoln ».................................................... 391
7. L'image de Staline entre
histoire et mythologie................................................. 399
7.1. Les différentes sources historiques de l'image actuelle de Staline........................ 399
7.2. Les hauts et les bas de l'image de Staline..................................................................... 403
7.3. Motifs contradictoires dans la diabolisation
de Staline.................................................................................................................................... 410
7.4. Lutte politique et mythologie entre Révolution française
et Révolution d'octobre............................................................................................................ 415
7.1. Les différentes sources historiques de l'image actuelle de Staline........................ 399
7.2. Les hauts et les bas de l'image de Staline..................................................................... 403
7.3. Motifs contradictoires dans la diabolisation
de Staline.................................................................................................................................... 410
7.4. Lutte politique et mythologie entre Révolution française
et Révolution d'octobre............................................................................................................ 415
8. Diabolisation et hagiographie dans la lecture
du monde contemporain.................................................................................................. 423
8.1. De l'oubli de la Seconde Période des désordres en
Russie à l'oubli du Siècle des humiliations en Chine........................................................ 423
8.2. Le refoulement de la guerre et la production en
série des monstres jumeaux de Hitler................................................................................... 433
8.3. Socialisme et nazisme, Aryens et Anglo-Celtes.......................................................... 437
8.4. Le Nuremberg anticommuniste et la négation
du principe du tu quoque......................................................................................................... 444
8.5. Diabolisation et hagiographie : l'exemple du
« plus grand historien moderne vivant »............................................................................... 452
8.6. Révolutions abolitionnistes et diabolisation
des « blancophages » et des barbares ................................................................................... 456
8.7. L'histoire universelle comme « histoire grotesque
de monstres » et comme « tératologie » ?............................................................................ 460
du monde contemporain.................................................................................................. 423
8.1. De l'oubli de la Seconde Période des désordres en
Russie à l'oubli du Siècle des humiliations en Chine........................................................ 423
8.2. Le refoulement de la guerre et la production en
série des monstres jumeaux de Hitler................................................................................... 433
8.3. Socialisme et nazisme, Aryens et Anglo-Celtes.......................................................... 437
8.4. Le Nuremberg anticommuniste et la négation
du principe du tu quoque......................................................................................................... 444
8.5. Diabolisation et hagiographie : l'exemple du
« plus grand historien moderne vivant »............................................................................... 452
8.6. Révolutions abolitionnistes et diabolisation
des « blancophages » et des barbares ................................................................................... 456
8.7. L'histoire universelle comme « histoire grotesque
de monstres » et comme « tératologie » ?............................................................................ 460
Postface de Luciano Canfora
De Staline à Gorbatchev:
comment finit un empire........................................................................ 473
De Staline à Gorbatchev:
comment finit un empire........................................................................ 473
[1] Même
dans son discours de Fulton (5 mars 1946) qui lance l'expression du
"rideau de fer" et inaugure la Guerre froide, Churchill évoque son
admiration pour le peuple russe et le maréchal Staline.
[2] "Sur le culte de la personnalité et ses conséquences", lu le 26
février 1956 au XXe Congrès du PCUS au cours d'une séance fermée aux
délégations étrangères, d'où le terme
"Rapport secret".
[3] p.67, Losurdo : "L'effroi et l'indignation sont
universellement répandus sur l'immense carnage et sur la façon dont se
présentent les différents Etats en lutte, tels des Molochs sanguinaires,
décidés à sacrifier des millions d'hommes sur l'autel de la patrie, et engagés,
en réalité, dans une compétition impérialiste pour l'hégémonie mondiale. Tout
cela va stimuler la revendication d'un ordre politico-social totalement nouveau
: il s'agissait d'éradiquer une fois pour toutes les horreurs qui s'étaient
manifestées à partir de 1914. Alimentée ultérieurement par une vision du monde
(qui avec Marx et Engels semble invoquer un avenir sans frontières nationales,
sans rapports mercantiles, sans appareil d'Etat et même sans coercition
juridique) et par un rapport quasi religieux avec les textes des pères
fondateurs du mouvement communiste, cette revendication ne peut pas ne pas être
déçue au fur et à mesure que la construction du nouvel ordre commence à prendre
corpsVoilà pourquoi, bien avant de faire irruption au centre de la réflexion et
de la dénonciation de Trotski, après s'être déjà manifesté au moment de
l'écroulement de l'autocratie tsariste, le thème de la révolution trahie
accompagne comme une ombre l'histoire qui a commencé avec l'accession au pouvoir
des bolchéviques."
[4] Citation des Œuvres
complètes de Staline (1971-73, en allemand, vol.4, p.252): "La victoire de Denikine et de Kolçak
signifie la perte de l'indépendance de la Russie, la transformation de la
Russie en une copieuse source d'argent pour les capitalistes anglo-français. En
ce sens, le gouvernement Denikine-Kolçak est le gouvernement le plus
antipopulaire et le plus antinational. En ce sens, le gouvernement soviétique
est le seul gouvernement populaire et national dans le meilleur sens du terme,
parce qu'il porte avec lui non seulement la libération des travailleurs du
capital, mais aussi la libération de toute la Russie du joug de l'impérialisme
mondial, la transformation de la Russie de colonie à pays libre et indépendant."
[5] Interview donné par Staline
à Roy Howard (le Times) en 1936.
[6] A l'idéalisation chrétienne
de la pauvreté (et de l'égalité dans la pauvreté) doit être substitué le
dépassement de la pauvreté comme telle. "Il serait stupide de croire que le socialisme puisse être édifié sur la
base de la misère et des privations, en restreignant les besoins personnels et
en abaissant le niveau de vie.." (Staline, Œuvres complètes [alld], 1971-73, vol.13, p.317-319; = Staline,
1977, Ed.Soc., p.757-9)
[7] Losurdo p.150 :"Dans la mesure où le pouvoir charismatique
était encore possible, celui-ci tendait à prendre corps dans la figure de
Trotski, le génial organisateur de l'Armée Rouge et le brillant orateur et
prosateur qui prétendait incarner les espoirs de [..] la révolution mondiale,
et qui en faisait découler la légitimité de son aspiration à gouverner le parti
et l'Etat. Staline était par contre l'incarnation du pouvoir légal
traditionnel, qui cherchait laborieusement à prendre forme : au contraire de
Trotski arrivé tard au bolchévisme, il représentait la continuité historique
dans le parti [..] de la révolution et, donc, détenteur de la nouvelle légalité
; de surcroît, en affirmant la faisabilité du socialisme dans un seul (grand)
pays, Staline conférait une nouvelle dignité et identité à la nation russe,
dépassant ainsi la crise épouvantable, qui n'était pas seulement matérielle,
subie à partir de la défaite et du chaos de la Première Guerre mondiale : et la
nation retrouvait sa continuité historique. Mais à cause de cela justement, les
adversaires criaient à la "trahison", tandis que, aux yeux de Staline
et de ses disciples, apparaissaient comme traîtres ceux qui avec leur
aventurisme, en facilitant l'intervention des puissances étrangères, mettaient
en danger [..] la survie de la nation russe, qui était en même temps le
département d'avant-garde de la cause révolutionnaire."
[8] Discours de Staline du 4
fév. 1931 : "Nous bolchéviques, qui
avons fait trois révolutions, qui sommes sortis victorieux d'une guerre civile
atroce, devons aussi prendre à [notre]
charge le problème du dépassement de la traditionnelle arriération industrielle
et la fragilité militaire de la Russie." [..] "Dans le passé,
nous n'avions pas et ne pouvions pas avoir de patrie" (Œuvres.. idem,
1971-73, p.33 et 36; "Questions du léninisme", 1977, p.535-36).
[9] Citation p.178, "On dit que la production marchande doit
néanmoins, en toutes circonstances, aboutir et aboutira absolument au
capitalisme. Cela est faux. Pas toujours ni en toutes circonstances! On ne peut
identifier la production marchande à la production capitaliste. Ce sont deux
choses différentes." (Œuvres..
idem, 1971-73, p.263-70, ou bien : "Les problèmes économiques du
socialisme en URSS", 1952, Ed. Soc., p.11-20)
[10] "Trotski [..croyait] synthétiser
la leçon de Marx, Engels et Lénine en ces termes : “La génération qui a conquis
le pouvoir, la vieille garde commence la liquidation de l'Etat; la génération
suivante achève la besogne." (p.178, Trotski, La révolution trahie, Ed. 4e Intle, 1961, p. 137)
[11] Trotski est chassé du
gouvernement en 1925, exclu du parti en 1927, exilé en 1929 et assassiné en
1940
[12] [NB - Les paysans résistent
à la suppression de la propriété privée de la terre en incendiant les récoltes
ou par des soulèvements armés (1300 sont réprimés en 1929). Guerre civile
sporadique, déportations de "koulaks", improvisation générale et
réquisitions entraînent des famines qui font plusieurs millions de morts,
tandis que 25 millions de paysans affluent vers les villes, (rationnées de 1927
à 1935), fournissant une main d'œuvre abondante, tandis que l'achat à bas prix
de la production agricole des kolkhozes
et sovkhozes aide à financer
l'industrialisation. La collectivisation, terminée en 1934, se solde par un
bilan humain très lourd et un nouveau type de servage à la campagne. En 1935,
la résistance passive des paysans est atténuée par le "lopin
individuel"].
[13] p.196-97 : "En Pologne, il n'y a pas la dictature du
prolétariat et vous n'en avez pas besoin" [..] Et aux dirigeants
communistes bulgares : il est possible de "réaliser le socialisme d'une nouvelle façon, sans la dictature du
prolétariat" ; "la
situation a changé de façon radicale par rapport à notre révolution, il faut
appliquer des méthodes et des formes différentes..", etc. Voir Roberts
G. (Stalin's wars. From World War to Cold
war 1939-1953, 2006), p.296, p.231
[14] [NB
Certes, par tous les moyens, cf. procès Slansky et Rajk]
[15] p.196 Intervention de
Trotski "Où la bureaucratie
stalinienne conduit-elle le pays?" (30 janvier 1935), dont les seules
citations, p.207 célèbrent les résultats de l'effort des année 30, en matière
d'industrie, d'éducation et de changements de la société.
[16] En 1933, les déportés sur
l'île de Nazino (Sibérie) se retrouvent isolés, sans abris, ni outils,
nourriture, médicaments, etc. et meurent presque tous après des scènes de
cannibalisme. Le récit bouleversa tous les membres du Politburo.
[17] Ainsi que les Eglises. Le
Vatican eut son Concordat en 1933 avant divers accords avec les Eglises
protestantes. En outre, les sionistes réussirent à négocier l'émigration de 20
000 juifs en Palestine en 1935.
[18] Hitler déclare au Haut
Commissaire de la Société des Nations à Dantzig: "Tout ce que j'entreprends est tourné contre la Russie. Si l'Occident
est trop stupide et aveugle pour le comprendre, je serai obligé d'en arriver à
une entente avec les Russes et à vaincre ensuite l'Occident, de façon à ce
qu'après sa défaite, je puisse me retourner contre l'Union soviétique avec
toutes les forces que j'aurais réunies." (cité par Nolte Der europäische Bürgerkrieg 1917-1945,
1987, date de la citation?)
[19] Plus important aux yeux de
Losurdo fut le blocus naval imposé par l'Angleterre à l'Allemagne, pendant le
premier conflit mondial et après
l'armistice, blocus qui "essaya de
façon explicite de réduire à l'inanition toute la population : hommes, femmes
et enfants, vieux et jeunes, blessés et personnes saines, et de l'obliger ainsi
à la capitulation." afin qu'ils acceptent "les conditions de paix des vainqueurs." (Churchill, cité par
Baker "Human smoke..",
2008). Hitler (parmi d'autres) en tira la conclusion la plus logique.
L'Allemagne, n'étant pas maîtresse des mers et n'ayant pas d'empire colonial,
devait trouver son espace de colonisation ("espace vital") sur le
continent, à l'Est.
[20] Le complot des médecins
juifs qui auraient voulu attenter à la vie de Staline est ramené par Losurdo à
de plus justes proportions : (1) il est évident que les services secrets
occidentaux ont essayé plusieurs fois d'assassiner Staline, (2) "l'erreur
médicale" avait déjà été utilisée auparavant pour éliminer des chefs
d'Etat, (3) Staline avait accepté des médecins juifs pour leur compétence et
c'était, au départ, une preuve de confiance, (4) il semble que les accusations
aient été abandonnées à la fin sur son ordre.
[21] Les époux Rosenberg furent
accusés d'espionnage atomique au profit de l'URSS et exécutés après avoir
réfuté de dénoncer l'antisémitisme en URSS. Làslo Rajk, puis Rudolf Slànsky
(tous deux militants communistes historiques dans leurs pays) et leurs
coinculpés ont été condamnés et exécutés pour "titisme" afin de faire
un exemple destiné à prévenir toute velléité d'indépendance des pays
"socialistes" vis-à-vis de Moscou. Il est possible que des
dénonciations fictives de la CIA ou d'agents israéliens, liées au problème de
l'émigration juive, soient intervenues.
[22] En 1973, les Juifs, qui
étaient 0,9% de la population soviétique, représentaient 1,9% des étudiants
d'université, 6,1% du personnel scientifique et 8,8% de tous les chercheurs.
[23] Le rapport Krouchtchev
(1956) fut communiqué par le Mossad à la CIA qui le publia.
[24] "Les transformations de la démocratie", 1920.
[25] A Taejon, en juillet 1950,
dix-sept cents Coréen, accusés d'être communistes, furent passés par les armes
et leurs corps laissés sans sépulture à l'écart de la ville. Cette
"épuration" fut menée aussi bien sur les réfugiés que dans les villes
conquises ou reconquises, et moins discrètement que les assassinats de Katyn. Il semble également que les familles de ceux qui étaient tués parce
que suspectés d'être communistes aient été également liquidées.
[26] Et fit périr
presqu'un quart de la population russe..
[27] Comme les
"révélations" et les "secrets du Kremlin" de l'ex-général
Orlov selon lesquelles, Staline aurait été, à ses débuts, un agent de la police
secrète tsariste.
[28] Voir Payne MJ, Stalin's railroad. Turksib and the building
of socialism, 2001
[29] Citation de Ginzburg R,
"100 years of lynchings"
(Black Classic Press, Baltimore, 1988) : "Pour commencer ils lui tranchèrent le pénis et l'obligèrent à le manger.
Puis ils tranchèrent ses testicules et l'obligèrent à les manger et à dire que
ça lui plaisait.
Ensuite,
avec des couteaux, ils taillèrent en tranches les flancs et l'estomac et
quiconque, parfois l'un parfois l'autre, pouvait emporter un doigt des mains ou
des pieds. Des fers rougis au feu furent utilisés pour brûler le nègre de pied
en cap. Pendant la torture, de temps en temps, une corde était attachée autour
du cou de Neal, jeté du podium jusqu'à en être presque étranglé ; puis la
torture recommençait du début. Après plusieurs heures de cette punition, ils
décidèrent de le tuer.
Le
corps de Neal fut attaché par une corde à l'arrière d'une voiture et traîné sur
la route jusqu'à la maison de Cannidy. Une foule excitée, entre 3000 et 7000
personnes, provenant de divers Etats du Sud, attendait son arrivée. [Le divertissement
sur le cadavre se termine par la vente de photographies] à cinquante cents pièce."
[30] James Bacque, "Der geplante Tod : Deutsche Kriegsgefangene
in amerikanischen und franzözichen Lagern, 1945-1946", 2008
(Traduction de "Other losses",
1989, où Bacque accuse les Américains et marginalement les Français d'avoir
fait mourir de faim envion 800 000 soldats allemands dans leurs camps de
prisonniers). Cet ouvrage a suscité la polémique et Bacque, écrivain canadien,
a été accusé de révisionnisme car ses chiffres paraissent beaucoup trop élevés
et leurs sources peu fiables. (Losurdo aurait dû le citer de façon critique,
d'autant plus que Bacque, dans un ouvrage ultérieur accuse l'Armée Rouge d'avoir
fait bien pire). Cependant, les historiens d'Eisenhower, qui paraissent dignes
de foi, admettent que, dans les tout premiers temps, les prisonniers de guerre
de la Wehrmacht ont été très maltraités et que la plupart des blessés et des
malades en sont morts, ce qui est une honte pour une croisade occidentale
contre la barbarie nazie.
[31] Cet événement dramatique
fut très bien raconté (quoique d'une manière déplaisante pour tout le monde)
par Curzio Malaparte dans "Technique
du coup d'Etat" (1931 en français).
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